Cette année, au cinéma, quelques images se sont imposées, celle par exemple d’un Adam Driver, incarnation parfaite de la masculinité toxique, qui s’en prend selon les films à la pauvre Marion Cotillard (Annette) ou à l’infortunée Jodie Comer (Le Dernier Duel). Pourtant, comme le montre Jane Campion dans son nouveau film, The Power of the Dog, cette masculinité excessive et dominante jette peut-être ses derniers feux. Ceux d’un accouchement difficile (Titane, L’Evénement, Madres paralelas), symbole d’une transition éprouvante entre un Ancien et un Nouveau Monde.
Comme nous l’avons indiqué dans notre bilan cinéma de l’année 2021, les femmes ont pris un pouvoir qui leur tendait les bras, dans le domaine de la mise en scène. Ce phénomène ne manque pas de se poursuivre ; en témoigne encore la récente victoire de Jane Campion aux Golden Globes 2022. A MovieRama, nous avons été les premiers à en prendre officiellement acte et à l’annoncer publiquement. Cette année, nos listes, pourtant très différentes, possèdent un extraordinaire point commun. Les réalisatrices, grâce à la qualité exponentielle de leur travail, les ont envahies. Dans d’autres rédactions concurrentes et néanmoins amies, ce n’est pas forcément le cas. Citons entre autres Les Cahiers du cinéma qui paraissent souffrir de cécité (mais ce ne sont pas les seuls) devant l’amélioration indubitable de la production féminine, en ne mentionnant qu’une seule femme dans leur Top 10, certes en tête, mais tristement isolée, l’excellente Kelly Reichardt (First Cow). Le Top Cinéma de MovieRama permet d’échapper à la doxa dominante (le triumvirat Memoria–Drive my car–First cow) et de mettre en valeur d’autres films tout aussi méritants ou qui mériteraient a minima autant d’attention (Il n’y aura plus de nuit, Le Dernier Duel, Serre moi fort, Last Night in Soho, La Voix d’Aïda, Les Amants sacrifiés, L’Evénement, Gagarine, Petite Maman). Il y aurait évidemment bien d’autres films à citer qui nous ont impressionnés en 2021, par exemple Onoda, The Card Counter, voire West Side Story, etc. mais la liste pourrait se décliner à l’infini, tant les goûts peuvent divers et l’année cinématographique 2021 a été riche.
Par conséquent, il n’est finalement guère étonnant de voir dans notre Top 10 Cinéma, qui comporte en fait douze films, un total de 6,5 films signés par des réalisatrices face à un cumul de 5,5 films réalisés par des hommes, le demi-point s’expliquant par une oeuvre mixte (Gagarine). C’est la première fois que la tendance majoritaire bascule du côté des femmes ; ce ne sera sans doute pas la dernière fois. Cette tendance est encore plus accentuée par le fait que deux réalisatrices (Julia Ducournau et Eléonore Weber) occupent chez nous la tête de ce classement. Le futur est femme, disait Marco Ferreri, en intitulant ainsi l’un de ses derniers films. On pourrait aussi paraphraser André Malraux, en affirmant que le XXIème siècle sera féminin ou ne sera pas.
TOP 10 CINEMA de la rédaction
1/ Titane de Julia Ducournau
2/ Il n’y aura plus de nuit d’Eléonore Weber
3/ Annette de Leos Carax
4/ Le Dernier Duel de Ridley Scott
5/ Serre moi fort de Mathieu Amalric
6 / Last night in Soho de Edgar Wright
7 /La Voix d’Aïda de Jasmila Žbanić
8 / Les Amants sacrifiés de Kiyoshi Kurosawa
9 / ex aequo
L’Evénement d’Audrey Diwan
First Cow de Kelly Reichardt
Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh
Petite Maman de Céline Sciamma
Les Tops individuels de vos rédacteurs préférés :
ANA HYDE
TOP 10 CINEMA
1/ Le Dernier Duel, Ridley Scott parce que c’est son dernier film his to ri que !
2/ Il n’y aura plus de nuit, Eléonore Weber parce que court mais infini…
3/ First cow, Kelly Reichardt parce que c’est une ode à la poésie.
4/ Tre piani, Nanni Moretti parce que toujours il com.prend Nanni et nous prend avec lui.
5/ Le Genou d’Ahed, Nadav Lapid parce que prends-toi ça dans les dents !
6 / Titane, Julia Ducournau, rien que pour vous faire chier !
7 / Tromperie, Arnaud Desplechin car enfin il ne se la pète littéralement plus.
8 / Les Magnétiques, Vincent Maël Cardona pour la musique, la nostalgie et la mélancolie.
9 / Le Sommet des Dieux, Patrick Imbert parce que cette animation fait grimper des montagnes.
10 / Falling de Viggo Mortensen, car c’est un premier film RÉUSSI.
EMMANUELLE ETIENNE
TOP 10 SERIES car Emmanuelle est la spécialiste séries
1/ Orelsan : Montre jamais ça à personne (Amazon Prime Video)
Un documentaire musical unique en son genre qui fait la part belle à la bromance.
2/ Maid (Netflix)
Une adaptation réussie qui met en lumière tout le spectre des violences conjugales.
3/ Mare of Easttown (Canal +/ OCS)
Un polar prenant qui offre à Kate Winslet l’un de ses plus beaux rôles.
4/ Le serpent (Netflix)
Le portrait glaçant du tueur en série français Charles Sobhraj, magistralement interprété par Tahar Rahim.
5/ Young Royals (Netflix)
Une histoire d’amour simple mais touchante sur fond de royauté.
6/ Sex Education – Saison 3 (Netflix)
Une saison qui a su préserver les fondamentaux de la série tout en proposant de nouvelles thématiques.
7/ A teacher (Canal +)
Une mini série qui démystifie les relations professeur/élève et nous offre une séquence finale édifiante;
8/ Cruel Summer (Amazon Prime Video)
Le destin croisé de deux adolescentes autour d’une sombre histoire de kidnapping, efficace.
9/ My Name (Netflix)
Une histoire de vengeance très classique mais portée par un personnage féminin puissant.
10/ Squid Game (Netflix)
La série phénomène de cette année qui a marqué les esprits par son parti pris esthétique très fort.
PIERRE LARVOL
TOP 10 CINEMA
Le chiffre est heureux : 96 millions d’entrées en 2021, soit près de 50% de plus que l’année dernière. Quand on jette un coup d’œil dans le rétroviseur, il paraît bien difficile de donner tort aux spectateurs tant la proposition fut riche et éclectique. Un cinéma pluriel, qui s’adresse à tous et à toutes les humeurs, qui permet aussi bien de s’évader que de penser le monde d’aujourd’hui et d’imaginer celui de demain. Ce retour en arrière fut salvateur : en cédant à la morosité ambiante, j’imaginais l’année cinématographique à l’image de l’instant. En fouillant dans ma mémoire, j’ai pourtant retrouvé des émotions, des réflexions, des larmes et des rires. Au bout de cet exercice, dix films et deux mentions spéciales. En y regardant de plus près, un motif apparaît : cette fameuse envie d’évasion. Que la réalité soit onirique dans Gagarine, décalée dans Oranges Sanguines, épique dans Dune ou excentrique dans Annette, le monde s’étend et se multiplie, sculpté par les désirs. On retrouve la douceur des vacances avec A l’abordage, des femmes hors du commun dans La Voix d’Aïda et France, mais aussi les liens qui nous unissent, à la famille et à la création dans Spectre, à la nature dans Le Peuple Loup. Enfin, il ne faut pas oublier un cinéma engagé, qu’il passe par la fiction avec l’humaniste Désigné Coupable ou le documentaire avec Il n’y aura plus de nuit, une expérience du regard unique en son genre. En somme, une année chargée d’images, de sons, d’idées : de cinéma.
1/ Annette de Leos Carax
2/ La Voix d’Aïda de Jasmila Žbanić
3/ Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh
4/ Tralala des frères Larrieu
5/ A l’abordage de Guillaume Brac
6 / France de Bruno Dumont
7 /Oranges Sanguines de Jean-Christophe Meurisse
8 / Le Peuple Loup de Tomm Moore et Ross Stewart
9 / Spectre : Sanity, Madness & the Family de Para One
10 / Dune de Denis Villeneuve
Mentions spéciales à Désigné Coupable de Kevin Macdonald et Il n’y aura plus de nuit de Eléonore Weber.
REMY PIGNATIELLO
TOP 10 DECOUVERTES VIDEO
Comme chaque année, le marché vidéo est propice en rattrapage-découverte, tant en patrimoine qu’en films indépendants aux plannings internationaux capricieux. En haut cette année, une déconstruction percutante autour de l’impact de la Shoah aux USA, 2 films sur fond de deuil, de la politique engagée, du drame féministe, un José Giovanni et un Jean Renoir, soit une palette aussi éclectique que le marché vidéo physique lui-même, et les éditeurs indépendants qui l’alimentent.
1/ The Pawnbroker – Le Prêteur sur gages (Potemkine) de Sidney Lumet
2/ Dogs dont wear pants (Anti-Worlds) de J-P Valkeapää
3/ The Babadook – Mister Babadook (Second Sight) de Jennifer Kent
4/ Ethnic notions (Criterion) de Marlon Riggs
5/ Bayan Ko (Le Chat qui fume) de Lino Brocka
6 / Out of the blue (Potemkine) de Dennis Hopper
7 /Une Affaire de femmes (Carlotta) de Claude Chabrol
8 / Mädchen in Uniform (BFI) de Leontine Sagan
9 / Dernier domicile connu (Coin de mire) de José Giovanni
10 / Les bas-fonds (Gaumont) de Jean Renoir
POULET POU
TOP 10 CINEMA
1/ Serre moi fort (Mathieu Amalric)
Une émotion poignante devant le portrait diffracté-fragmenté d’une femme tourmentée qui s’en va.
2/ Les Amants sacrifiés (Kiyoshi Kurosawa)
KK s’attarde finalement moins sur l’espion que sur sa femme — d’où le titre, eh —, pour en faire un bouleversant portrait.
3/ Petite Maman (Céline Sciamma)
La fausse simplicité de conte, le flamboiement des couleurs automnales, les détails quasi SF qui surgissent soudain dans le décor années 80 de la maison de grand-mère
4/Il n’y aura plus de nuit (Eléonore Weber)
Ode à l’hélicoptère de l’US Army AH-64 Apache, ou plutôt à son système de visée infrarouge. Les pilotes omnipotents voient tout, mais que voient-ils vraiment ? Horrible et fascinant.
5/Une histoire d’amour et de désir (Leyla Bouzid)
Un érotisme prégnant, qui passe non seulement par le corps des acteurs, mais aussi (surtout ?) par le verbe
6/ Bergman Island (Mia Hansen-Løve)
Ce cinéma allusif permet de laisser libre cours à son imagination, ce qui fait qu’on est accroché et ému par la quasi-non-histoire qui nous est racontée.
7/The French Dispatch (Wes Anderson)
En prenant de l’âge le psychorigide poil de carotte réussit à insuffler de plus en plus de vie dans ses froides horloges à quartz, ce n’est pas rien.
8/La Jeune Fille et l’araignée (Ramon et Silvan Zürcher)
Le ton du film est très original, étrangeté, humour et cruauté font bon ménage.
9/The Suicide Squad (James Gunn)
C’est fait sans cynisme aucun, j’ai été amusé comme un gosse du début à la fin, et la poésie plastique qui se dégage des idées visuelles mises en œuvre dans tout un tas de scènes m’a fait de l’effet.
10/Titane (Julia Ducournau)
Au fond Titane raconte le contraire de Grave ; ici le monstre cherche une famille normale.
N.B. : le titre Serre moi fort, selon l’orthographe voulue par Mathieu Amalric, ne comporte pas de trait d’union.
DAVID SPERANSKI
TOP 10 CINEMA
1/ Titane de Julia Ducournau
Fluidité du genre et des genres, conte étrange sur la maternité et l’accouchement, Titane aura fait bouger les lignes comme aucun autre film cette année.
2/Last Night in Soho d’Edgar Wright
Incroyable réussite esthétique, une oeuvre faussement acidulée et vraiment empoisonnée où peut-être pour la première fois un metteur en scène se retourne courageusement contre tous les autres hommes, potentiels prédateurs.
3/L’Evénement d’Audrey Diwan
Filmé entièrement en immersion du point de vue d’Anne, étudiante en lettres, L’Evénement nous plonge dans la tête et le corps d’une jeune femme qui va suivre un chemin de croix, pour avoir voulu avorter dans les années soixante.
4/The Nightingale de Jennifer Kent
Peut-être l’un des films les plus âpres et cruels jamais réalisés mais la sauvagerie de la domination patriarcale en action n’exclut pas la beauté et la poésie de la mise en scène. Prix spécial du jury à Venise en 2018, ce film n’est jamais sorti en salles en France, diffusé directement sur OCS.
5/True Mothers de Naomi Kawase
L’un des plus beaux films de Naomi Kawase qui aurait sans doute obtenu l’une des plus hautes récompenses à Cannes en 2020….mais le destin en a décidé autrement. Ne passez pourtant pas à côté de cette oeuvre poignante sur l’identité et l’adoption.
6/Milla de Shannon Murphy
Premier film d’une jeune cinéaste australienne, Milla explore le thème de la jeune fille confrontée à l’horizon inéluctable de la mort, avec singularité, cocasserie et émotion. Une authentique révélation. .
7/Annette de Leos Carax
Peut-être le plus beau film de Leos Carax, celui où, avec l’aide bienveillante des Sparks, il parvient enfin à accomplir toutes ses promesses de cinéaste, tout en maîtrisant ses démons. D’une splendeur saisissante.
8/Matrix Resurrections de Lana Wachowski
Lana Wachowski revient à la franchise qui l’a rendue célèbre et la réinvente sur le mode décalé et provocateur, en signant un nouvel hymne à l’amour, en hommage à ses parents disparus. .
9/Nomadland de Chloé Zhao
Autre image récurrente de l’année, partir sur les routes pour oublier le monde et s’oublier soi. Nomadland représente aussi le 2ème triomphe d’une réalisatrice aux Oscars, plus de dix ans après Kathryn Bigelow.
10/ Drive my car de Ryusuke Hamaguchi
D’après quelques nouvelles de Murakami, Hamaguchi approfondit le travail de deuil auquel la plupart des personnages du film sont confrontés, Au bout du chemin de résilience, un espoir de survie.
Mentions très spéciales à Delphine et Carole, Insoumuses de Callisto McNulty, pour son bel hommage et à The French Dispatch de Wes Anderson pour sa mise en scène absolument démente.
Au revoir 2021…Bonjour 2022!