Tromperie : cinéma de chambre

L’une des notables nouveautés de ce 74ème Festival de Cannes a été la création de la nouvelle section Cannes Premières, destinée à accueillir les oeuvres de cinéastes déjà sélectionnés et reconnus en Sélection Officielle, pour leur éviter la tentation d’aller butiner du côté d’autres sélections, en particulier la Quinzaine des Réalisateurs : ces dernières années, Tetro de Francis Ford Coppola ou Trois Souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin ont été ainsi récupérés par le camp d’en-face. Il s’agit donc pour Thierry Frémaux de présenter des oeuvres qui, soit se trouvent un peu à part de l’oeuvre de ces réalisateurs, soit ne sont pas assez bonnes pour se retrouver en compétition. Le but de cette section consiste aussi à alléger la section Un Certain Regard et à la réserver à des premiers ou des deuxièmes films. Tromperie d’Arnaud Desplechin semble le meilleur exemple pour comprendre les buts et les motivations de cette section. On se demandait comment Desplechin allait poursuivre après le virage social de Roubaix, une Lumière. Comme le montre Tromperie, Desplechin retourne à la grande culture (adaptation de Philip Roth), l’entre-soi bourgeois, cultivé et intello, le cocon douillet des films de chambre bergmaniens, au point d’indiquer au générique, avec une grande modestie, que ce sera un film dirigé par Arnaud Desplechin et non « de » Arnaud Desplechin.

Londres – 1987. Philip est un écrivain américain célèbre exilé à Londres. Sa maîtresse vient régulièrement le retrouver dans son bureau, qui est le refuge des deux amants. Ils y font l’amour, se disputent, se retrouvent et parlent des heures durant ; des femmes qui jalonnent sa vie, de sexe, d’antisémitisme, de littérature, et de fidélité à soi-même…

Tromperie a un arrière-goût de revenez-y qui s’explique par un versant caché d’autobiographie masquée. Et si Desplechin s’y était davantage révélé que dans ses films célébres et révérés, mettant en vedette Mathieu Amalric?

A côté de la ligne centrale des films de Desplechin (de La Vie des morts aux Fantômes d’Ismael, en passant par Comment je me suis disputé, Rois et Reine, Un Conte de Noel. Trois Souvenirs de ma jeunesse), ce que l’on résumera un peu paresseusement par les Amalric-films ou les Dedalus-films, coexiste un peu à côté dans l’ombre, ses adaptations d’auteurs le plus souvent anglo-saxons. Antérieurement à Tromperie de Philip Roth, Desplechin a ainsi adapté En compagnie des hommes d’Edward Bond, ainsi que La Forêt d’Alexandre Ostrovski pour la télévision. Dans ces cas de figure, Desplechin se met alors au service du texte et subordonne sa mise en scène à la mise en valeur de l’interprétation et des dialogues. C’est sans doute ce qui a déterminé Desplechin de modifier l’intitulé de son rôle au générique.

Car Tromperie, suite de dialogues acérés et au cordeau entre Philip (Denis Podalydès, étonnant en écrivain séducteur) et les personnes qui influencent sa vie (maîtresse, épouse, élève, père, etc.) ressemble beaucoup aux films de chambre de Bergman, c’est-à-dire ces films confidentiels et intimes, tournés parfois pour la télévision, qui se concentrent sur un intérieur restreint et un nombre réduit de personnes (Après la répétition, En présence d’un clown). Dans ces films, Bergman abandonne la compétition inhérente au métier de metteur en scène pour ne filmer que ce qui lui plaît : des intérieurs, des conversations, des acteurs en plein épanouissement. Tromperie ressemble donc à cela, des conversations sans but ni réelle fin qui passionnent ou ennuient selon la nature des protagonistes qui y participent. On pourra éventuellement s’ennuyer à tout ce qui concerne la judéité, sujet trop rebattu, alors que toutes les joutes avec des personnages féminins (Léa Seydoux qui a rarement été aussi brillante, Emmanuelle Devos, Anouk Grinberg, Rebecca Marder) se révèlent à chaque fois passionnantes de vivacité et de finesse. Le film navigue ainsi dans cet entre-deux, en étant parfois bouleversant (cette interrogation rétrospective sur une vie qui est passée trop vite et le souvenir fugace que les autres vont en garder), d’autres fois assez anodin (les questionnements sur l’origine et la communauté d’appartenance) quand il ronronne un peu sur lui-même, en se cantonnant à son entre-soi. Ceci explique pourquoi Tromperie a été retenu dans la section Cannes Premières, en étant un témoignage de la qualité indéniable du travail de Desplechin, tout en ne figurant pas forcément parmi ses meilleures oeuvres. Néanmoins elle a un arrière-goût de revenez-y qui s’explique par un versant caché d’autobiographie masquée. Et si Desplechin s’y était davantage révélé que dans ses films célébres et révérés, mettant en vedette Mathieu Amalric?

3.5

RÉALISATEUR : Arnaud Desplechin
NATIONALITÉ : française
AVEC : Léa Seydoux, Denis Podalydès, Emmanuelle Devos, Anouk Grinberg 
GENRE : Drame, romance
DURÉE : 1h45
DISTRIBUTEUR :  Le Pacte
SORTIE LE 29 décembre 2021