Les Amants sacrifiés : La femme de l’espion

La Femme de l’espion, tel est le titre original. Le mot japonais pour dire espion, prononcé plus d’une fois dans le film, semble être emprunté à l’anglais ’’spy’’. Un lecteur parlant le japonais pourrait-il nous le confirmer ? Ce serait gentil. En tous cas, on se demande pourquoi les distributeurs français ont choisi cet intitulé trompeur — ils ne sont pas amants, puisque mariés, eh — et mizoguchien. Les Amants crucifiés, 1954, ne vous-ai pas déjà abondamment seriné que ce chef-d’œuvre est disponible, avec quelques autres, en replay sur Arte.tv ? Voyez-les, bon sang. Pour être tout à fait honnête, Mizoguchi est mentionné par les personnages, eux-mêmes cinéphiles, qui se proposent d’aller voir son dernier. Renseignements pris, les deux Mizo sortis en 1941 sont perdus. Il y a en revanche une scène où nous est montré le générique d’un autre film de l’époque, mais je n’ai retenu ni titre ni réalisateur. Si une bonne âme, moins étourdie que celle de votre humble serviteur, pouvait nous les indiquer, ce serait chic. À propos, j’ai encore une question — à un moment donné, quand le mari soulève son chapeau pour saluer sur son petit bateau, il y a une image presque subliminale d’idéogramme comme pour dire ’’Fin’’. Ai-je rêvé, ou l’avez-vous perçue vous aussi ? La personne chère à mon cœur qui m’accompagnait ne s’en souvient pas.

Cette amertume, pour ne pas dire désespoir, est étayée par l’horreur réelle des images d’archives, pièces à conviction des crimes contre l’humanité commis par l’Unité 731 en Mandchourie — horreur à laquelle répond l’horreur brechtienne des péripéties de la fiction, exprimée dans une mise en scène faussement classique, de plus en plus distanciée.

Revenons à KK. Comme ceux d’Almodóvar, je vais voir tous les films de Kiyoshi Kurosawa en salle depuis des années, et j’entretiens avec eux une relation beaucoup plus étroite qu’avec l’œuvre de l’Espagnol. Les Amants sacrifiés est le premier en costumes, mais il est amusant de constater la présence de certains signes fétiches habituels. J’en ai repéré deux — petit a, décors à base d’inquiétants entrepôts, petit b, personnages enfermés dans l’habitacle d’un véhicule, lequel semble flotter dans un espace abstrait. Parenthèse, je me demande si le signe fétiche habituel de Spielberg, à savoir la caméra qui s’élève, et révèle une chose épouvantable qui se trouvait cachée derrière un obstacle — mur, colline, etc. —, si ce signe est présent dans son remake de West Side Story. Je me le demande d’autant plus que ledit mouvement de caméra est bel est bien là, dans une scène de la version 1961 de Robert Wise, revue récemment.

Revenons à nos Amants. Contrairement au film d’Almodóvar, où bonté et générosité sont aussi générales que particulières, celui de KK semble plus pessimiste. Son héros est bon et généreux avec le monde en général, mais cruel et injuste envers son épouse en particulier. Cette amertume, pour ne pas dire désespoir, est étayée par l’horreur réelle des images d’archives, pièces à conviction des crimes contre l’humanité commis par l’Unité 731 en Mandchourie — horreur à laquelle répond l’horreur brechtienne des péripéties de la fiction, exprimée dans une mise en scène faussement classique, de plus en plus distanciée. Tenez mon brave, voici quelques ongles arrachés pour votre collection. Les mauvaises langues pourront toujours ricaner, Ha, brechtien qu’il dit, c’est juste que le budget du film est minus. Vous pouvez compter sur le fan de la Jeanne de Rivette que je suis pour balayer d’un revers de main parfaitement manucurée ce genre de critique. Puisqu’on parle de manucure, avez-vous vu cette pub grotesque (pour un joaillier, je crois), avec Jay-Z et Beyoncé, où celle-ci fait mine de jouer du piano avec des faux ongles de 15 cm de long ? Avez-vous déjà essayé de jouer du piano avec des faux ongles de 15 cm de long ? Je m’égare, mais c’est qu’il faut bien faire un peu diversion, le sujet du film est tellement dur. Il est temps de conclure, nous parlions de Jeanne d’Arc, on se rend compte que KK s’attarde finalement moins sur l’espion que sur sa femme — d’où le titre, eh —, pour en faire un bouleversant portrait. Oui, je suis folle, dit-elle, mais c’est sain de l’être, dans un monde aussi malade.

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RÉALISATEUR :  Kiyochi Kurosawa 
NATIONALITÉ : japonaise 
AVEC : Yû Aoi, Issey Takahashi, Masahiro Higashide
GENRE : Drame, historique 
DURÉE : 1h55 
DISTRIBUTEUR : Art House 
SORTIE LE 8 décembre 2021