Titane : de rouille et d’os

Pour ceux qui en auraient encore douté après la révélation éclatante de Grave, Titane représente la confirmation incontestable du talent éblouissant de Julia Ducournau. Atteignant dès son deuxième film la compétition de la Sélection Officielle, Julia Ducournau se trouve, contrairement à d’autres cinéastes, exactement prête au rendez-vous, en pleine possession de ses moyens artistiques. Même s’il hérite de l’influence revendiquée de David Cronenberg, Titane aborde de nouveaux rivages, ceux du transformisme, de la transsexualité voire du transhumanisme, portant la marque de ce qu’on appellera sans doute par la suite le cinéma mutant de Julia Ducournau, ouvrant éventuellement une page nouvelle du Septième Art.

[ATTENTION SPOILER] Après un accident de voiture qu’elle a provoqué enfant, en distrayant l’attention de son père conducteur, Alexia porte une plaque de titane du côte droit de son crâne. Devenue adulte, elle supporte mal les avances de mâles en rut, au point d’être devenue serial-killeuse dans le Sud de la France. Pour échapper aux poursuites de la police, elle change d’apparence et de genre. Elle est alors identifiée par Vincent Legrand, un capitaine de brigade de pompiers, comme étant son fils Adrien disparu depuis une dizaine d’années…

Titane aborde de nouveaux rivages, ceux du transformisme, de la transsexualité voire du transhumanisme, portant la marque de ce qu’on appellera sans doute par la suite le cinéma mutant de Julia Ducournau, ouvrant éventuellement une page nouvelle du Septième Art.

A côté de Titane, Grave paraît presque une fiction à l’eau de rose. Le début tétanisant de Titane commence pourtant comme le premier film de Julia Ducournau par un accident de voiture. Alexia en sortira à jamais changée, avec un morceau de métal dans le corps, voire plus précisément dans la tête. Pendant la première partie de Titane, on pense ainsi déboucher sur une histoire classique de serial-killeuse, Alexia, se débarrassant de la masculinité toxique qui s’attaque à elle. Dans le rôle de Justine, Garance Marillier assure en plus le trait d’union entre les deux films. Mais dans une séquence tarantinesque rappelant la dernière demi-heure de Once upon a time in…Hollywood, la rage d’Alexia ne connaît plus de limites de genre, s’en prenant aux femmes comme aux hommes.

Dès lors, le film va changer de tonalité, se concentrant sur une filiation improbable entre Vincent Legrand et un « fils » devant supporter une grossesse mystérieuse. Julia Ducournau en profite pour interroger la notion de genre, Alexia devenant Adrien en rasant son crâne, en changeant littéralement de « profil » et de sexe. Or dans le milieu a priori assez misogyne d’une brigade de pompiers, Adrien va néanmoins trouver sa place. Deux séquences troublantes vont en témoigner, celle d’une danse sensuelle sur le capot d’un véhicule de pompiers ainsi que celle, très belle, où son père présumé lui aura tant déclaré son amour inconditionnel qu’il ne prêtera même plus attention à ses signes évidents de féminité.

Le film atteint alors une toute autre dimension, mystique, mythique, voire presque religieuse, comme l’atteste la tonalité sulpicienne de la musique qui intervient à partir de ce moment. Dans Titane, Alexia semble même faire l’amour avec une voiture, mettant en oeuvre un transhumanisme qui sera confirmé par la conclusion du film. Pourtant le coeur du film ne réside pas dans son transhumanisme mais dans sa volonté de reconstituer un lien filial qui n’existe pas entre deux êtres sans lien de parenté. Julia Ducournau met en scène ce drame de la filiation entre Vincent Lindon et Agathe Rousselle, en accentuant par une photographie très belle et expérimentale, la surexposition jusqu’au rouge des chairs et en s’inspirant de la Piétà. Peut-être était-il légèrement redondant de recourir à des accents de musique religieuse pour mettre en valeur la dimension spirituelle de cette narration. Néanmoins, à chaque plan, à chaque cadrage, à chaque interaction de personnages, le fait que Julia Ducournau soit authentiquement cinéaste, crève les yeux, tant elle sait, avec un rare don, ménager le suspense et la tension dans chaque séquence. Ce que raconte Titane est assez simple au bout du compte, c’est que l’amour est à l’évidence une question de choix mais que lorsque le choix est accompli, il est définitif et inconditionnel.

4.5

RÉALISATEUR : Julia Ducournau 
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Agathe Rousselle, Vincent Lindon, Garance Marillier 
GENRE : Drame, fantastique, thriller 
DURÉE : 1h48
DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution
SORTIE LE 14 juillet 2021