L’origine du mal : bas les masques!

Avec ses deux premiers films, Irréprochable et L’Heure de la sortie, tous deux très réussis, Sébastien Marnier s’est créé une place à part dans le cinéma français en imposant dans le domaine du thriller une incontestable maîtrise formelle et narrative. L’étape du troisième film, après ces galops d’essai concluants, lui permet de disposer de moyens plus importants et d’une distribution plus conséquente en noms reconnus. Avec L’Origine du mal, Sébastien Marnier persiste et signe dans le genre du thriller, en concoctant une intrigue à base d’usurpation et d’échange d’identités. Entre Huit femmes de François Ozon pour l’atmosphère confinée et Masques de Claude Chabrol pour le goût de la satire des grands bourgeois, Sébastien Marnier tente de s’illustrer dans le thriller chabrolien, genre difficile, tant le maître y a laissé son empreinte.

Stéphane (Laure Calamy), jeune femme d’origine modeste, décide de se faire connaître de son père naturel, Serge (Jacques Weber), un industriel richissime. Ils sympathisent et Serge finit par l’inviter dans sa luxueuse villa en bord de mer, où il vit, légèrement diminué par un récent accident vasculaire cérébral, avec toute sa famille officielle, une épouse excentrique (Dominique Blanc), une fille au comportement autoritaire (Dora Tillier), une seconde fille, adolescente punk (Céleste Brunquell), et une domestique mystérieuse (Véronique Ruggia Serra). Néanmoins Stéphane n’est pas sans réserver non plus quelques surprises sur sa véritable vie….

L’Origine du mal, avec son beau titre qui aurait inspirer une dimension métaphysique prometteuse, se cantonne tristement à son programme scénaristique aussi prévisible que décevant, et à son jeu de massacre de ses personnages

La thématique de l’usurpation d’identité est plutôt courante : il est possible de citer parmi des films plus ou moins récents, avec des réussites diverses, La Place d’une autre d’Aurélia Georges, Inexorable de Fabrice Du Welz, voire La Tourneuse de pages de Denis Dercourt, sans même remonter jusqu’à La Main sur le berceau de Curtis Hanson. Le souci dans L’Origine du mal, c’est que l’usurpation est trop évidente et les ficelles dramaturgiques bien trop grossières. Alors que Sébastien Marnier était parvenu avec talent à ménager une tension assez insoutenable dans Irréprochable, à créer une atmosphère étouffante dans L’Heure de la sortie, il révèle ici un peu trop tôt le pot-aux-roses, quasiment depuis le début du film, beaucoup trop tôt pour permettre l’élaboration d’un suspense potentiel sur le mystère du personnage principal. Il s’est peut-être trop reposé sur la capacité d’interprétation de Laure Calamy qui, en raison de son capital sympathie, éloigne fort loin de son personnage l’antipathie et la négation qu’il pouvait en théorie engendrer.

Le film commence pourtant bien avec une visite du vestiaire des ouvrières d’une usine de conserverie, hommage évident à l’ouverture somptueuse de Carrie de Brian de Palma. On retrouvera d’ailleurs Brian De Palma dans les split-screens qui sont utilisés dans le filmage des séquences de repas ou de pause dans le salon. Malheureusement, les split-screens, qui multiplient les informations à foison chez De Palma pour le spectateur, servent chez Marnier, essentiellement à éviter les contrechamps et les pertes de temps qui y sont afférentes. Comme nous l’avons indiqué plus haut, L’Origine du mal tente de se situer entre Ozon (Huit femmes) et Chabrol (Masques, La Fleur du mal) mais penche beaucoup trop du côté de l’artificialité théâtrale d’Ozon que de celui du sarcasme chabrolien, décapant et jubilatoire. On regrettera donc une mise en forme scolaire et appliquée qui dessert le potentiel du projet.

Car L’Origine du mal, avec son beau titre qui aurait inspirer une dimension métaphysique prometteuse, se cantonne tristement à son programme scénaristique aussi prévisible que décevant, et à son jeu de massacre de ses personnages, avec une pénultième séquence de crêpage de chignon empruntée à celle clôturant Jeune femme partagerait appartement de Barbet Schroeder. Face à ce marasme, les acteurs sont condamnés à faire ce qu’ils peuvent : Laure Calamy échoue à sortir de son emploi de personnage sympathique ; Dominique Blanc et Doria Tillier surjouent la morgue bourgeoise, sans distance ni ironie salvatrices ; Jacques Weber, après son rôle de chef d’entreprise déboussolé dans la saison 2 d’En thérapie, semble abonné ici à ce même type de personnage, Céleste Brunquell (pourtant excellente dans la même série) interprète le cliché de l’ado rebelle, enfin Suzanne Clément incarne sans surprise l’élément perturbateur qui va tenter de déjouer la machination mise en place. Certes l’on constate que le sous-texte du film consiste à affirmer la victoire de la famille de Serge, composée de cinq femmes, face au corps affaibli d’un patriarcat déclinant mais cette piste n’est guère mise en valeur et rendue attractive par la platitude des situations.

L’Origine du mal représente le cas assez dérangeant d’une oeuvre qu’on aurait aimé aimer mais qui souffre à l’évidence d’un problème de dosage dans l’équilibre de ses éléments. Pourtant Sébastien Marnier a véritablement du talent, il l’a suffisamment montré dans ses films précédents, Irréprochable et L’Heure de la sortie, et on ne désespère pas de le retrouver prochainement dans de meilleures conditions.

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RÉALISATEUR :  Sébastien Marnier 
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Laure Calamy, Jacques Weber, Dominique Blanc, Dora Tillier, Céleste Brunquell, Suzanne Clément
GENRE : Thriller, drame 
DURÉE : 2h05 
DISTRIBUTEUR : The Jokers/les Bookmakers 
SORTIE LE 5 octobre 2022