Icon of French Cinema : les icônes ne meurent jamais

La polémique récente autour du consentement et de la relation sulfureuse entre Judith Godrèche et Benoît Jacquot à la fin des années 80 a presque fait oublier la série écrite et réalisée par Judith Godrèche, sortie un peu en catimini au moment des Fêtes sur Arte, et qui méritait pourtant bien plus qu’une notule de circonstance. Dans cette mini-série de six épisodes d’une demi-heure, soit l’équivalent d’un long-métrage de trois heures, Judith Godrèche se raconte et se met en scène à la première personne, en actrice légèrement « has been » qui s’est exilée aux Etats-Unis pendant une bonne dizaine d’années, avant de tenter un come-back en France. Drôle, satirique et pleine d’auto-dérision, la série questionne aussi les moments dramatiques, plein d’émotion, où Judith revient sur sa relation traumatique avec un réalisateur-auteur connu dans les années 80, ainsi que ses inquiétudes en tant que mère pour sa fille, plus ou moins confrontée à la même situation.

Judith Godrèche, actrice célèbre, revient d’Hollywood pour s’installer de nouveau en France, avec sa fille Zoé, âgée de seize ans. Elle est pressentie pour un rôle principal dans une coproduction. Ce retour en France la confronte à son passé constitué de flash-backs traumatiques où jeune adolescente, elle découvrait la misogynie inhérente au système cinématographique, ainsi aux souhaits d’émancipation de sa fille, amoureuse de son chorégraphe, plus vieux de 20 ans.

Le coeur de Icon of French Cinema, derrière sa façade de fantaisie ludique sur le come-back d’une actrice, réside en fait dans les questions de dominance masculine et de consentement.

Produite également par A24 la société américaine spécialisée dans les films indépendants, Icon of French Cinema ressemble pas mal à Irma Vep d’Olivier Assayas (figurant d’ailleurs dans la liste de remerciements) dans sa volonté de désacraliser les mécanismes du cinéma et de ses principaux intervenants (metteurs en scène, acteurs, actrices, producteurs, agents, etc.). La satire se révèle même assez irrésistible dans les trois premiers épisodes car Judith, avec ses grands yeux écarquillés, ne manque pas d’auto-dérision, les badauds la confondant avec Juliette Binoche (« en blonde, elle est plutôt moche, Juliette Binoche ») et se rappelant d’elle surtout grâce à Bimboland. Judith débarque dans un monde qui l’a un peu oubliée, en raison de son absence prolongée. Un monde dans lequel elle ne retrouve plus vraiment ses marques, (« le consentement, c’est à partir de 16 ans en France? »), ayant besoin d’identifier ses anciennes relations grâce à un organigramme, et se sentant obligée de faire croire à un faux appel de Wes Anderson, pour se donner l’importance qu’elle n’a plus.

Cette partie parodique est plutôt réussie, vive et pleine d’esprit, à l’image de son autrice, en particulier les séquences de restaurant et de salon de thé avec son agent Kristin (excellente Liz Kingsman dans le registre pince-sans-rire). C’est le cas jusqu’au milieu de l’épisode 3, où Judith doit composer avec son agent, ses ex-maris, sa fille, sa domestique sans-papiers, les producteurs de son film, ses psys, et surtout son passé. Après, malheureusement, l’intrigue se délite un peu lors de la fin de l’épisode 3 et des épisodes 4 et 5 (dont un séjour superflu à Porquerolles), avant de revenir en force dans l’épisode final. On notera au passage quelques influences : la chanson à la fin de l’épisode 3 (Twin Peaks : The Return), le doudou chantant (illustrant comme dans Toni Erdmann les rapports complexes de filiation), Judith évanouie à plusieurs reprises dans la même position que Bowie sur la pochette de l’album Lodger, etc. ; quelques exagérations tombant à plat (Laurent Stocker en directeur général dansant sur de la musique pop) ; ainsi que quelques coups de génie, l’intervention de Carole Bouquet, interprétant son propre rôle, au milieu de l’épisode 3, et déclarant en toute franchise « je ne me suis jamais sentie menacée par la dominance masculine», ce qui prend un sens savoureux au vu de sa dernière défense de Gérard Depardieu.

Car le coeur de Icon of French Cinema, derrière sa façade de fantaisie ludique sur le come-back d’une actrice, réside en fait dans les questions de dominance masculine et de consentement. C’est le cas lorsque Judith s’inquiète en mère-poule des relations de sa fille Zoé (Tess Barthélémy, la propre fille de Judith, sosie français de Margaret Qualley, autre fille d’actrice connue, Andie McDowell), craignant de la voir reproduire le même schéma relationnel qu’elle-même à l’adolescence. C’est le cas aussi lorsque dans l’épisode 2, interrogeant le psy de son fils, elle lui déclare : « je sais à quel point c’est difficile pour lui de s’opposer à un adulte. Cela demande énormément de courage à un enfant pour y arriver», faisant allusion à son cas personnel face à Jacquot. C’est le cas encore lorsque, dans une scène déchirante du dernier épisode, elle interroge sa mère (émouvante Ludmila Mikael) dans une voiture, sur la relation non autorisée entre elle adolescente et un cinéaste connu (remarquable Loïc Corbery, sombre et cynique), C’est le cas surtout lorsque, sans la moindre explication, des flash-backs traumatiques surgissent dans la narration, en parallèle de son présent, la mettant en scène en tant qu’adolescente naïve (formidable Alma Struve).

Icon of French Cinema prend alors tout son sens, en dépit de ses quelques faiblesses. Il n’en demeure pas moins que cette série est sans doute beaucoup plus drôle et plus émouvante que toute la filmographie entière de Benoît Jacquot. C’est un peu la revanche d’une personne qui s’est toujours sentie « comme un imposteur» et n’a jamais été surprise qu’on la prenne pour quelqu’un d’autre, selon ses propres mots à la fin de l’épisode 2, clin d’oeil à la terrible gaffe de Vanessa Paradis, lui attribuant par erreur le César du meilleur espoir en 1991, à la place de Judith Henry. Il a fallu un travail important sur soi, nombre de séances d’analyse et plus de trente ans, pour que Judith comprenne les raisons de sa souffrance intérieure, en quoi elle a été abusée, et devienne une véritable héroïne de la résilience. C’est en voyant surtout sa fille Tess grandir et se trouver en situation de risque qu’elle a pris conscience de cela, pour lui éviter de prendre le même chemin de croix. C’est donc à une renaissance que le spectateur assiste, pas seulement celle de Judith actrice mais aussi en tant que femme, « la renaissance de Judith», comme son agent Kristin l’énonce clairement dans l’épisode 2. Mais ce qui a sauvé Judith durant toutes ces années de la dépression et de l’auto-destruction, c’est son irrésistible sens de l’humour (elle a tout de même vécu avec deux grands humoristes), qualité que l’on perçoit complètement dans sa série, ainsi que dans son merveilleux sourire que personne n’est parvenu à flétrir.

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RÉALISATEUR : Judith Godrèche 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : comédie, drame
AVEC : Judith Godrèche, Liz Kingsman, Tess Barthélémy, Gina Cailin, Alma Struve 
DURÉE : 6 x 30 mn 
DISTRIBUTEUR : Arte 
SORTIE LE 28 décembre 2023