Iris Knobloch peut arborer un véritable satisfecit de sa première année en tant que première Présidente du Festival de Cannes. 2023 a été en effet une grande année pour le Festival de Cannes, « une année de tous les records », comme elle le dit : un palmarès unanimement apprécié, hormis des grognons habituels, incapables de reconnaître le niveau du film de Justine Triet ; des films de grande qualité qui ont souvent obtenu un succès public ; 26 nominations aux Oscars qui ont abouti à 3 Oscars (meilleur scénario original pour Anatomie d’une chute, meilleur film international et meilleur son pour La Zone d’intérêt). 2023 sonnait ainsi l’heure de la véritable reprise pour le Festival de Cannes, suite à la pandémie, après des tours de chauffe prometteurs en 2021 et 2022. Pas de doute, la Présidente était absolument euphorique, au point de s’avancer un peu trop lors de ses déclarations, en proclamant que Greta Gerwig était « l’âme du Festival », elle qui n’y est pour l’instant jamais venue, et en qualifiant Camille Cottin de « brillante et engagée », ce qui est peut-être vrai pour le premier terme mais interroge tout de même pour le second. On peut donc imaginer qu’Iris Knobloch ait pesé de toute son influence pour la désignation de ces deux femmes respectivement comme présidente du jury (Barbie étant un film Warner, cf. son ancienne maison) et maîtresse de cérémonie.
Devant cet enthousiasme communicatif, Thierry Frémaux, délégué général du Festival, restait stoïque, assez éloigné de la franche camaraderie qui l’unissait au prédécesseur d’Iris Knobloch, souriant poliment à l’évocation ironique des noces de coton faite par sa nouvelle Présidente. Son objectif était autre. Après une année aussi réussie, avec les locomotives qu’ont représenté Anatomie d’une chute et La Zone d’intérêt, les deux grands films incontestables de l’édition 2023, comment poursuivre? Comment ne pas décevoir? A part continuer ce qu’on sait faire, c’est-à-dire, sélectionner les meilleurs films du monde entier, à travers une brochette d’auteurs triés sur le volet.
Le galop de retour des grands maîtres
Après le retour de Jerzy Skolimowski et David Cronenberg en 2022, suite à des années de silence, ainsi que, au plus haut niveau, de Wim Wenders, Catherine Breillat et Aki Kaurismaki en 2023, la tendance se confirme en 2024. Frémaux a le don et le pouvoir de ressusciter des metteurs en scène qui se trouvent dans la dernière période de leur oeuvre : Coppola (Megalopolis, un rêve de cinéma poursuivi depuis les années 80), Cronenberg (The Shrouds), ont dépassé les quatre-vingts ans, voire les 70 dans les cas d’Audiard et de Paul Schrader (Oh, Canada d’après un roman de Russell Banks). Ce qui induit, sauf chez Audiard (Emilia Perez), des problématiques liées essentiellement à la mort, à la catastrophe, au deuil, aux erreurs passées et aux regrets. Chefs-d’oeuvre terminaux ou épilogues superfétatoires, renfermés sur eux-mêmes?
Corps de jeune fille
A côté de ces réflexions funèbres, nous avons a priori un élan de vitalité dans des oeuvres soit de jeunes réalisatrices, soit mettant en scène des jeunes femmes ou filles. D’un côté, le body horror de Coralie Fargeat (The Substance) qui s’était déjà illustrée dans le Rape and Revenge, avec Revenge, le justement nommé, un premier film (Diamant brut) d’une inconnue Agathe Riedinger, qualifiée par Frémaux de petite-nièce des frères Dardenne, sur la vie d’une jeune fille confrontée aux mirages de la télé-réalité et des réseaux sociaux, un film indien mis en scène par une jeune réalisatrice, Payal Kapadia, sur les aventures d’une infirmière et de sa colocataire, All we imagine as light ; de l’autre, un nouveau Andrea Arnold (Bird), assez proche de ceux que nous venons de mentionner par les thématiques, sur une jeune fille pré-ado enfermée dans une banlieue anglaise, des jeunes femmes dans un bordel (Motel Destino de Karim Ainouz), des corps chantants de femmes dans une comédie musicale (musique de Camille et son compagnon Clément Ducol) sur fond de guerre des cartels (Emilia Perez), une travailleuse du sexe entre New York et Las Vegas (Anora de Sean Baker).
Entre les deux
Entre ces deux extrêmes, se trouvent des metteurs en scène se situant au carrefour des âges, tout comme Triet et Glazer l’année dernière. Soit une belle collection d’auteurs : Miguel Gomes (Grand Tour, un film historique en Birmanie), Christophe Honoré (Marcello Mio, potentiel prix d’interprétation pour Chiara Mastroianni), Jia Zhang-ke (Caught by the tides, nouvelle exploration de l’Histoire de Chine, entre Still Life, Les Eternels et Au delà des montagnes, avec sa fidèle muse, Zhao Tao), Yorgos Lanthimos (Kinds of Kindness, jeu de rôles inédit dans un film à sketches), Kirill Serebrennikov (Limonov, The Ballad of Eddie, d’après le livre d’Emmanuel Carrère sur l’écrivain et homme politique russe), Paolo Sorrentino (Parthenope, la vie d’une femme à Naples sur 70 ans). Pas encore palmés et paraissant apparemment en plein épanouissement artistique, ces metteurs en scène sont plus ou moins bien placés dans la compétition, Lanthimos semblant tenir la corde dans cette catégorie depuis le début de l’année et la sortie de Pauvres créatures, déjà Lion d’Or à Venise l’année dernière.
Les inclassables
Enfin, rompant avec l’orthodoxie critique, certains choix de Frémaux peuvent étonner : déjà citée, Coralie Fargeat détonne en petite soeur de Julia Ducournau, se trouvant en compétition. Mais la grosse surprise, qu’on attendait davantage en Séance Spéciale ou dans Cannes Première, se nomme L’Amour ouf de Gilles Lellouche, film de trois heures très attendu, mélangeant les genres et les temporalités (comédie romantique, teenage movie, comédie musicale, etc.). Dans le genre des films globalisants et monumentaux, immensément guettés, comme Megalopolis, peut-on s’attendre à un chef-d’oeuvre ou la montagne accouchera-t-elle d’une souris? Dans les inclassables, se range également Magnus Van Horn, jeune metteur en scène suédois de 40 ans, et son biopic mâtiné d’épouvante et d’horreur sur la condition des aides-soignantes, The Girl with the needle, ainsi qu’Ali Abbasi et son évocation des jeunes années de Donald Trump (The Apprentice). Lellouche, Van Horn et Abbasi, de jeunes metteurs en scène qui en sont à leur troisième ou quatrième film, sans qu’on sache exactement la direction que leur oeuvre va prendre.
Les absents
Les cinéphiles auront remarqué l’absence en Sélection officielle des films de Desplechin (Spectateurs!), Sophie Fillières (Ma vie, ma gueule), Patricia Mazuy (La Prisonnière de Bordeaux), Guillaume Brac (Ce n’est qu’un au revoir), Emmanuel Mouret (Une honnête femme), etc. Si le film posthume de Fillières et celui de Mazuy trouvent leur place à la Quinzaine des cinéastes ainsi que celui de Brac à l’ACID, Desplechin et Mouret feront-ils partie des futurs ajouts de Frémaux ou devront-ils prendre la direction de Venise? Les plus coquins auront également noté que, contre toute attente, Emmanuelle d’Audrey Diwan n’est pas projeté en séance de minuit, ce qui induit que le film aurait davantage déçu le sélectionneur que Love de Gaspar Noé qui en avait bénéficié. Ironie du sort, Noémie Merlant, l’héroïne d’Emmanuelle, se retrouve bien en séance de minuit, mais avec un film qu’elle a elle-même réalisé et coécrit avec Céline Sciamma, Les Femmes au balcon.
En terminant, Thierry Frémaux a indiqué qu’il souhaitait que ce Festival soit « pacifique, pacifié, joyeux et généreux et qu’on ne parlerait que de cinéma ». Cela signifie-t-il que le Festival de Cannes serait enfin redevenu une bulle de cinéma, où les conflits guerriers (Gaza, Ukraine) n’ont plus droit de cité, et où le monde contemporain se fera oublier pendant douze jours? Que le réchauffement climatique (Cinéma pour le climat, section ouverte en 2021, il y a trois ans, sans lendemain) ne se trouve plus à l’ordre du jour? Que #MeToo ne serait pas un sujet de cinéma mais surtout un élément de controverse qui fâcherait les cinéphiles? La forte présence des femmes (sinon en réalisatrices, – 4 seulement -, du moins en thématique dans un grand nombre de films), et ce biopic de Trump arrivant à point nommé pour charger l’ex-Président des Etats-Unis, avant une élection présidentielle américaine déterminante, semblent plutôt annoncer le contraire. Parler de cinéma, c’est aussi parler du monde, tel qu’en lui-même, l’éternité le change.
| EN COMPÉTITION Film d’ouverture LE DEUXIÈME ACTE de Quentin DUPIEUX | Hors Compétition THE APPRENTICE de Ali ABBASI MOTEL DESTINO de Karim AÏNOUZ BIRD de Andrea ARNOLD EMILIA PEREZ de Jacques AUDIARD ANORA de Sean BAKER MEGALOPOLIS de Francis Ford COPPOLA THE SHROUDS de David CRONENBERG THE SUBSTANCE de Coralie FARGEAT GRAND TOUR de Miguel GOMES MARCELLO MIO de Christophe HONORÉ FENG LIU YI DAI de JIA Zhang-Ke (CAUGHT BY THE TIDES) ALL WE IMAGINE AS LIGHT de Payal KAPADIA KINDS OF KINDNESS de Yórgos LÁNTHIMOS L’AMOUR OUF de Gilles LELLOUCHE DIAMANT BRUT de Agathe RIEDINGER | 1er film OH CANADA de Paul SCHRADER LIMONOV – THE BALLAD de Kirill SEREBRENNIKOV PARTHENOPE de Paolo SORRENTINO PIGEN MED NÅLEN de Magnus VON HORN (THE GIRL WITH THE NEEDLE) |
| UN CERTAIN REGARD NORAH de Tawfik ALZAIDI THE SHAMELESS de Konstantin BOJANOV LE ROYAUME de Julien COLONNA | 1er film VINGT DIEUX ! de Louise COURVOISIER | 1er film LE PROCÈS DU CHIEN (WHO LET THE DOG BITE?) de Laetitia DOSCH | 1er film GOU ZHEN (BLACK DOG) de GUAN Hu THE VILLAGE NEXT TO PARADISE de Mo HARAWE | 1er film SEPTEMBER SAYS de Ariane LABED | 1er film L’HISTOIRE DE SOULEYMANE de Boris LOJKINE LES DAMNÉS de Roberto MINERVINI ON BECOMING A GUINEA FOWL de Rungano NYONI BOKU NO OHISAMA (MY SUNSHINE) de Hiroshi OKUYAMA SANTOSH de Sandhya SURI VIET AND NAM de TRUONG Minh Quý ARMAND de Halfdan ULLMANN TØNDEL | 1er film |
| HORS COMPÉTITION SHE’S GOT NO NAME de CHAN Peter Ho-Sun HORIZON, AN AMERICAN SAGA de Kevin COSTNER RUMOURS de Evan JOHNSON, Galen JOHNSON et Guy MADDIN FURIOSA : UNE SAGA MAD MAX de George MILLER |
| SÉANCES DE MINUIT TWILIGHT OF THE WARRIOR WALLED IN de Soi CHEANG THE SURFER de Lorcan FINNEGAN LES FEMMES AU BALCON de Noémie MERLANT I, THE EXECUTIONER de RYOO Seung Wan |
| CANNES PREMIÈRE EVERYBODY LOVES TOUDA de Nabil AYOUCH C’EST PAS MOI de Leos CARAX EN FANFARE de Emmanuel COURCOL MISÉRICORDE de Alain GUIRAUDIE LE ROMAN DE JIM de Arnaud LARRIEU et Jean-Marie LARRIEU RENDEZ-VOUS AVEC POL POT de Rithy PANH |
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