Barbie : la poupée qui fait oui

 

Depuis que la planète a eu vent de ce projet intrigant, Barbie, coécrit par Greta Gerwig et Noah Baumbach, et réalisé par Greta Gerwig, ne cesse d’alimenter les conversations par une promotion publicitaire soutenue et efficace. La critique et le public avaient apprécié les débuts cinématographiques de Greta Gerwig, Ladybird, une jolie première oeuvre plus ou moins autobiographique, et Les Filles du docteur March, une formidable adaptation revisitée du roman fondateur et inspirant de Louisa May Alcott, pour des générations de lecteurs et lectrices, d’écrivains et d’écrivaines. Avec ses films, Greta Gerwig a imposé un point de vue féminin, sinon féministe, et sensible, un véritable regard d’autrice sur ses personnages. Au départ actrice douée et brillante dans les films de son compagnon Noah Baumbach (Greenberg, Frances Ha, Mistress America), Greta s’est émancipée de son regard et a pris son indépendance en tant que réalisatrice, même si Barbie est coproduit et coécrit par le couple. Barbie devait donc être l’ultime changement d’échelle qui consacrerait le style et le regard sans concessions de Greta Gerwig sur la société d’aujourd’hui.

Dans le monde parfait de Barbie Land, une Barbie commence à se poser des questions sur la vraie vie, ce qui la rend plus humaine. Elle décide donc de partir pour le monde réel, accompagnée par un Ken fou amoureux d’elle, afin de découvrir la vérité sur l’univers.

Barbie ressemble bien davantage au mieux à une comédie dont la prétention intellectuelle s’évapore derrière une direction artistique hyper-visible et des plaisanteries et des dialogues téléphonés, rappelant davantage Judd Apatow que Jacques Demy, au pire à un nanar stratosphérique laissant une tache regrettable dans le parcours jadis immaculé de Greta Gerwig.

Le film commence plutôt bien par une narration de conte de fées introduite par la voix flûtée d’Helen Mirren et une parodie de 2001 de l’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick. Puis nous entrons à Barbie Land, le royaume des poupées, où les femmes – toutes des déclinations de Barbie – se sont emparées du pouvoir alors que les hommes – tous des variations de Ken, hormis l’exception Allan (Michael Cera), un étrange pays presque idéal entre le pays d’Oz et les comédies musicales de Jacques Demy. Car l’on chante et danse sans prévenir dans Barbie Land. Côté direction artistique, coiffures et maquillage, Barbie se livre à une overdose de rose fluo, de froufrous et de tenues chatoyantes qui flattent ou agacent l’oeil.

Tant que le film se cantonne à la satire, cela se passe plutôt bien, le film tenant presque ses promesses de comédie de l’été, même si la présence de Will Ferrell rapproche davantage le film des productions Judd Apatow que des comédies de Wes Anderson ou des frères Coen. Mais soudain la routine de Barbie, presque aussi enthousiasmante que celle d’Un Jour sans fin, se fissure : Barbie tombe, hérite de pieds plats et de cellulite. L’univers de Barbie Land est menacé par le monde d’en-face qui, étrangement, semble se résumer à Los Angeles. La seule issue pour Barbie est d’investir le monde réel et d’y retrouver la petite fille qui joue avec sa poupée. Dans ce fameux monde réel, Barbie sera confrontée au système patriarcal qui permet aux hommes de régner en maîtres,

Le principal intérêt thématique et théorique de Barbie consiste à comparer Barbie Land et le monde réel, la place respective des hommes et des femmes, la différence de traitement entre les deux. Néanmoins il apparaît alors que Gerwig et Baumbach manquent d’innocence pour faire croire à ces personnages à l’écran qui ne dépassent pas le stade d’aimables caricatures, étant parfois limitées par les capacités dramatiques de leurs acteurs (Margot Robbie en particulier). On devine sans peine le sous-texte qui rôde de manière sous-jacente derrière le personnage de Barbie surpuissante ou de Ken en proie à des tourments existentiels inattendus. Néanmoins il semble presque à chaque fois plaqué comme si les intentions des auteurs se superposaient aux actions mécaniques et dépourvues de spontanéité de leurs personnages. Là où Gerwig et Baumbach dépassent les bornes, c’est lorsque la soi-disant inventrice de Barbie, Ruth Handler, dans le seul moment émouvant du film, finit par disculper le système patriarcal en jetant négligemment que « le patriarcat, Barbie Land, ce sont des jouets, des occupations pour passer le temps, et oublier ». Or le patriarcat n’est pas une occupation ludique mais surtout un instrument de domination et de pouvoir, ce que Gerwig et Baumbach paraissent occulter un peu vite.

Au moins, pour une grande moitié, Barbie est une comédie musicale qui voudrait s’inspirer du naturel et de la fraîcheur de celles de Jacques Demy. Or, pour cela, il eût fallu que les chansons fussent excellentissimes, ce qui est malheureusement loin d’être le cas (le I am Ken de Ryan Gosling fait assez peine à voir). Seul moment où la musique reprend réellement ses droits, What was I made for apparaît dans les dix dernières minutes du film, chanson crève-coeur de Billie Eilish, qui confirme tout le talent inouï de l’autrice-compositrice-interprète, et rattrape presque le naufrage musical auquel le spectateur a assisté auparavant.

Au bout du compte, en guise de grand film conceptuel, Barbie ressemble bien davantage au mieux à une comédie dont la prétention intellectuelle s’évapore derrière une direction artistique hyper-visible et des plaisanteries et des dialogues téléphonés, rappelant davantage Judd Apatow que Jacques Demy, au pire à un nanar stratosphérique laissant une tache regrettable dans le parcours jadis immaculé de Greta Gerwig.

1.5

RÉALISATEUR : Greta Gerwig 
NATIONALITÉ : américaine 
GENRE : comédie, comédie musicale 
AVEC : Margot Robbie, Ryan Gosling, America Ferrera, Emma McKey, Will Ferrell 
DURÉE : 1h55 
DISTRIBUTEUR : Warner Bros Studios 
SORTIE LE 19 juillet 2023