Entretien avec Jawad Rhalib, réalisateur du film Amal, un esprit libre – deuxième partie : un système scolaire dans la tourmente

Amal, un esprit libre est sorti en salles ce mercredi 17 avril. C’est une œuvre profondément nécessaire, sur un sujet tristement d’actualité, qui évoque notamment l’inquiétude du corps professoral face à la montée de l’extrémisme. Dans la première partie, Jawad Rhalib exposait les contours de sa production, pour mieux cerner le contexte. Nous vous proposons aujourd’hui la publication du reste de l’interview, qui a pour objectif d’échanger autour des thèmes principaux.

Est-ce que vous vous servez du personnage de Jalila en tant qu’exemple d’une laïcité qui est offensée dans le cadre scolaire ?

Le personnage est construit comme ça. On a une fille qui est la meneuse et en même temps, elle est complètement endoctrinée. Je ne voulais pas rentrer chez elle, parce qu’on risquait de se perdre. Donc, ce personnage-là, qu’est-ce qui se passe chez elle ? Comment elle vit ? Dans quel milieu elle vit ? Je l’ai amenée dans la salle des professeurs, où les proches de Jalila ont forcé la porte. Et on a vu la belle-mère de Jalila, qui est complètement voilée. À partir de là, on comprend quand elle dit, « je ne veux pas que Jalila touche à ces livres haram (illicites). » Automatiquement, on comprend qu’elle est déjà embrigadée et qu’elle est sous le charme de ce professeur de religion. Elle est complètement séduite par son discours. Elle le suit, l’appuie.

C’est vraiment la seule élève dans la classe qui suit parfaitement les cours de ce monsieur. On voit que les autres élèves sont à des degrés différents. Il n’y a qu’elle qui suit et adhère totalement à ce prosélytisme.

Oui, complètement.

Est-ce que son caractère fait ressortir le fait de dénoncer cette emprise de l’islamisme sur des profils d’adolescents qui sont un peu fragiles ?

C’est la base. Quand vous entendez le professeur de religion, il dit que ces jeunes ont besoin de retrouver de la dignité. Je suis tout à fait d’accord avec lui. Les jeunes, que ce soit en Belgique, en France, aux États-Unis, quand ils sont perdus au fin fond de leur quartier et que personne ne leur offre cette chance justement de s’en sortir, et bien il y a toujours des islamistes qui poursuivent un but bien précis, qui viennent les voir, qui présentent super bien. Ensuite, ils leur disent venez avec nous, on va vous rendre votre dignité, vous allez rejoindre la communauté. De ce fait, les jeunes ont l’impression de trouver quelqu’un qui protège.

Jalila représente-t-elle plus le danger que Nabil ? Est-elle le symbole d’une hyper- violence latente dans le système scolaire ? Elle est constamment dans les dérives homophobes.

C’est assez simple en fait. Quand vous avez les décisionnaires, l’institution qui donnent raison à ces jeunes et ne veulent pas les heurter, qui souhaitent les préserver, et qui ne protègent ni ne soutiennent les professeurs, cela pose problème. Quand les professeurs entrent en classe et demandent quelque chose, ils se heurtent à des jeunes qui ne sont pas à l’écoute et qui pensent avoir toujours raison. En Belgique, on a l’exemple d’un professeur de religion nommé Abdelgawad. Il enseignait à Bruxelles. Il a abordé la thématique de l’homosexualité en classe. Il a été licencié. La direction ne l’a pas soutenu, et il a fini par porter l’affaire en justice. Il a gagné, mais le mal était fait. Dès qu’on propose d’aborder une thématique, les jeunes contestent. La réaction du proviseur, du directeur d’école, c’est de refuser d’entendre ce qu’ils ne veulent pas entendre. Le résultat est là. On a des jeunes qui croient avoir tous les droits mais pas d’obligations. Ils ne comprennent pas que la société fonctionne avec des droits et des obligations envers tout le monde.

Le terme tourmente semble particulièrement adapté à ce film, notamment en ce qui concerne Amal. Les professeurs sont affectés par les événements violents et par l’atteinte à la laïcité, et ne savent plus comment faire pour apaiser la situation.

Exactement. Les professeurs ont cette fibre, ce souhait de transmettre. Certains ont perdu l’envie d’enseigner. On a ce personnage de Sylvie qui le dit bien. Elle donne cours et rentre chez elle. Elle représente ces enseignants qui sont fatigués, qui n’en peuvent plus et se disent à quoi bon. On a cette Amal qui rentre à la maison, épuisée, comme beaucoup. Leur vie de famille est parfois brisée. Ils apportent les problèmes du travail à leur domicile. Automatiquement, la vie de couple est bouleversée.

Malgré l’épuisement, Amal cherche à continuer le combat, quoi qu’il en coûte. Un des points importants du film réside dans la découverte de ce poète arabe Abu Nawas, qui possède une œuvre florissante. Est-ce que vous l’utilisez pour en faire un contrepoids face à l’islamisme, et dire que la religion musulmane est axée sur l’amour, la vie, et donc loin de tout concept terroriste ?

Absolument. Abu Nawas est un poète du 8ème siècle que j’ai étudié au Maroc. Son œuvre, très crue en arabe, n’a jamais posé de problème. Malheureusement, il a disparu des programmes scolaires et des bibliothèques en Belgique. Mon intention était de le ramener à la vie à travers ce film, pour montrer la diversité et la richesse de la culture musulmane.

Le terme haram est souvent utilisé dans le film. Quel sens cela a-t-il pour vous ? Est-ce pour souligner les tentations islamistes ?

Oui, les islamistes veulent imposer les interdits. Ils ne fonctionnent que sur ça. Ils oublient une bonne partie des textes qui prônent l’acceptation de l’autre, l’amour, la tolérance. Le Coran mentionne d’ailleurs les figures chrétiennes, ce qui montre un respect pour toutes les religions. Ce n’est pas le cas des islamistes qui appellent à la haine. On ne veut pas voir des gens qui veulent imposer une seule couleur, qui veulent interdire tout.

Vous parlez de couleur. Dans la salle de classe, il y a de la mixité sociale, des profils ethniques différents. Est-ce que c’est un moyen pour vous de représenter et de justifier aussi la nécessité de la diversité culturelle qui vient à l’encontre de ce que prône l’islamisme ?

Oui. Il faut vivre ensemble. Cette classe représente la société. Je ne voulais surtout pas tomber dans les clichés, les stéréotypes, dans l’image du musulman qui porte une djellaba et une longue barbe. Même le père de Rachid parle très bien français. Je ne voulais pas voir un radicalisé qui baragouine le français et ne sait pas se défendre. Le professeur de religion porte un costume-cravate, n’a pas de barbe. Pour beaucoup, il ne présente aucun danger.

Quel est l’état du système scolaire belge face à l’islamisme et comment font-ils face?

La seule chose qu’on n’a pas eue, c’est justement des assassinats. Par contre, on a le harcèlement scolaire comme ici en France. On a les insultes, on a les menaces visant des professeurs. On a exactement la même chose. On a cette institution, et surtout les directions des écoles, qui se plient, qui ont peur. C’est exactement ce qui se passe dans le film.

On a l’impression qu’ils avancent un peu à pattes de velours et qu’ils n’osent pas agir et froisser. Il ne faut pas faire de vagues.

C’est exactement la même chose. Ici, on a les écoles publiques où il y a ces options de cours de religion et de morale. Les parents musulmans mettent les enfants dans cet enseignement. Les professeurs sont désignés par un organisme religieux . Le principe de laïcité n’existe pas en Belgique. Par contre, il y a cette question de liberté d’expression, d’enseigner, qui est écrite dans la Constitution, d’où justement cette liberté de dispenser des cours de religion au sein de l’école publique.

Propos recueillis par Sylvain Jaufry le 16 avril 2024.