Pentagon Papers : une femme envers et contre tout

Au cours de l’année 2017, la post-production de Ready Player One prend un temps infini en raison du grand nombre d’effets spéciaux et de la performance capture. Donald Trump, candidat républicain, vient d’être élu et investi Président des Etats-Unis, et fait peser des menaces importantes sur la démocratie, la liberté d’opinion et de la presse. Il n’en faut pas davantage pour réveiller Spielberg qui avait soutenu comme à l’accoutumée le camp démocrate en la personne d’Hilary Clinton et pour réactiver la veine politique de son oeuvre.

Conçu, écrit et tourné au pas de course, Pentagon Papers constitue donc la réaction de Spielberg à l’élection-surprise de Donald Trump. Spielberg qui avait commencé à se réfugier dans ses fictions fantastiques et féériques habituelles (Le Bon Gros Géant, Ready Player One), se voit obligé de reprendre sa casquette de cinéaste engagé et donc de sortir le troisième volet de sa trilogie politique : après le lénifiant Lincoln, écho à son admiration pour Obama, puis le classique mais efficace Pont des Espions, voici donc le revigorant Pentagon Papers, sur la publication d’une étude préparée par le département de la Défense, soit plus de sept mille pages top secret dévoilant l’implication politique et militaire des Etats-Unis dans la guerre du Viet-Nam, par deux journaux, le New York Times et le Washington Post, l’histoire étant racontée du point de vue de la rédaction du Washington Post (The Post étant le titre original du film).

Conçu, écrit et tourné au pas de course, Pentagon Papers constitue donc la réaction de Spielberg à l’élection-surprise de Donald Trump.

Spielberg qui était sans doute le moins politisé des enfants terribles (Movie Brats) du Nouvel Hollywood, cf. son indifférence presque totale au conflit vietnamien dans les années 60 et 70, est paradoxalement devenu au fil du temps le cinéaste le plus politique du groupe. Il commence ainsi Pentagon Papers par quatre minutes de guerre du Viet-Nam, au point que certains spectateurs pourront légitimement croire s’être trompés de salle.

Si Le Pont des Espions indiquait un net regain de forme artistique chez Spielberg, avec Pentagon Papers, pas de doute, Spielberg est de retour au plus haut niveau : mise en scène inspirée, mouvements de caméra vifs, direction d’acteurs au cordeau (Bob Odenkirk, Carrie Coon, Matthew Rhys). Spielberg a mis en route ce projet extrêmement vite mais cette précipitation dans l’urgence n’a étrangement pas nui à sa qualité, bien au contraire. On ressent presque physiquement la circulation des informations, leurs conséquences sur l’opinion, et le travail frénétique des journalistes, se privant de déjeuner ou de loisirs pour rester à l’affût du moindre scoop. Spielberg se paie même le luxe d’inventer des séquences typiquement spielbergiennes, comme celle du stagiaire devant infiltrer une rédaction concurrente, ou de réussir à rendre crédible un véritable suspense qui ne devrait pourtant pas occasionner de surprise aux vrais connaisseurs de l’Histoire. Tom Hanks, pour sa cinquième et dernière collaboration à ce jour avec son metteur en scène favori, compose cette fois-ci un personnage à la John Wayne, Benjamin Bradlee, rédacteur en chef du Post, sorte de cow-boy égaré dans une rédaction, après s’être inspiré de James Stewart pour son rôle dans Le Pont des Espions.

Néanmoins l’interprétation la plus remarquable du film n’est point celle de Tom Hanks, contrairement à ce que l’on aurait pu croire. Avec un sens du timing exceptionnel auquel on reconnaît parfois les grands metteurs en scène, Spielberg rend hommage quelques mois après #MeToo à Katharine Graham, grande patronne de presse, directrice du Washington Post. Katharine Graham n’était pourtant pas faite a priori pour devenir directrice de journal. Après le suicide de son mari Phil Graham qui dirigeait le Washington Post alors qu’elle s’est occupée de l’éducation de leurs enfants, elle lui a succédé à la tête du journal. Manquant de confiance et d’expérience, elle se sentait méprisée et sous-estimée par ses collaborateurs. Or c’est elle qui, par une résolution inébranlable, a courageusement décidé, au risque de finir ses jours en prison, de publier les Pentagon Papers. Meryl Streep qui n’avait jamais collaboré avec Spielberg, hormis la voix de la Fée Bleue dans A.I, donne au personnage toute sa dimension d’humilité non feinte et d’intelligence intuitive exceptionnelle. Filmée selon la situation de domination ou de soumission en plongée ou en contre-plongée, Meryl Streep incarne pleinement cette femme forte, malgré ses hésitations et failles, isolée et opprimée dans un monde d’hommes. Sur l’ensemble de sa filmographie, Spielberg est assez peu réputé pour sa direction d’actrices : il a pourtant offert de très beaux personnages à des actrices qui s’en sont brillamment emparé : Goldie Hawn (Sugarland Express), Whoopi Goldberg (La Couleur Pourpre), Meryl Streep (Pentagon Papers) et Michelle Williams (The Fabelmans). Le personnage de Katharine Graham est certainement l’expression la plus évidente d’un féminisme discret, non militant, dû au fait que Spielberg a été élevé dans un environnement presque exclusivement féminin (sa mère et ses trois soeurs).

Pentagon Papers représente donc un hymne extrêmement convaincant à la liberté de la presse. La fourmilière de journalistes en ébullition dépouillant les Pentagon Papers demeure sans doute une image inoubliable et un exemple iconique pour tous les journalistes dignes de ce nom. Lorsque Spielberg filme à la fin du film les rotatives d’impression avec une gourmandise non dissimulée, il se dégage de Pentagon Papers un ineffable plaisir physique, voire presque l’odeur fraîche du papier journal diffusant les bonnes ou mauvaises nouvelles. L’ombre de Nixon, filmée de dos, plane sur le long-métrage, (Spielberg a utilisé la vraie voix de Nixon dans sa pénultième séquence) en reflet annonciateur d’un Trump qui rôde à l’époque dans les couloirs de la Maison-Blanche. Spielberg affiche même la suprême élégance d’interrompre son film juste avant la découverte du scandale du Watergate, raccordant avec un classique du cinéma d’investigation, Les Hommes du Président de Alan J. Pakula, et définissant modestement Pentagon Papers comme une préquelle indispensable dans le cadre de l’histoire du cinéma politique des Etats-Unis.

4

RÉALISATEUR : Steven Spielberg 
NATIONALITÉ : américaine  
GENRE : biopic, thriller politique 
AVEC : Meryl Streep, Tom Hanks, Sarah Paulson, Bob Odenkirk, Carrie Coon 
DURÉE : 1h57 
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France 
SORTIE LE 24 janvier 2018