Insomnia : une obsession de justice

Après Following, le suiveur et Memento, Christopher Nolan réalise Insomnia, un thriller intense réunissant deux grands acteurs du cinéma américain, Robin Williams et Al Pacino. Avec le récit d’un duel psychologique violent entre un tueur narcissique et un inspecteur obsédé par la soif de justice, le cinéaste récite brillamment ses gammes, montant encore en puissance, dans un film où son style commence à s’affiner, avec une ambiance tendue où le corps et l’esprit sont mis à rude épreuve. Bien que ce film prenne des allures de polars, il contient certains éléments caractéristiques du travail de Christopher Nolan, dont la cinématographie est souvent imprégnée de violence, de rapport au temps ou de souffrances physiques, d’une description d’âmes humaines prises dans un tourbillon de confusion. Comme la plupart de ses autres productions, ce long-métrage ne mise pas sur un cinéma grandiose ou spectaculaire, mais sur la psychologie travaillée de ces deux personnages, mélange de perversité, de narcissisme et d’obsession. Insomnia, œuvre de qualité, permet de mieux comprendre ce qu’est le cinéma du réalisateur d’Interstellar, avec deux acteurs au sommet, dont un Robin Williams inquiétant. 

D’une froideur glaciale, d’une violence angoissante et suggérée, Insomnia plonge dans les abîmes du polar, pour en faire ressortir un affrontement plein de tension, où la recherche de la vérité se transforme en véritable quête obsédante.

D’une froideur glaciale, d’une violence angoissante et suggérée, Insomnia plonge dans les abîmes du polar, pour en faire ressortir un affrontement plein de tension, où la recherche de la vérité se transforme en véritable quête obsédante. Dans cette traque palpitante, un policier se trouve malmené par un manque de discernement, qui le conduit à perdre un peu le contrôle de son esprit, tout en enquêtant sur un crime sordide perpétré par un pervers psychopathe.

En effet, Christopher Nolan n’a aucunement l’intention de raconter une histoire classique de tueur en série, à la manière d’un David Fincher, le thriller ne faisant pas partie intégrante de son cheminement cinématographique. En réalité, ce qui nourrit sa pensée réside dans la psychanalyse de son personnage principal, un policier troublé par une accusation de l’Inspection Générale, venant en aide à une jeune inspectrice dans le cadre du meurtre d’une lycéenne. Comme dans Memento, il s’agit plus d’une plongée dans les mécanismes de l’esprit. Ainsi, Insomnia s’éloigne d’un polar standard pour décrire les failles psychiques d’une personnalité tourmentée. Les soucis de cet homme mettent alors à mal ses facultés de réflexion, dans une affaire grave plongeant une région désertique dans le chaos et l’insécurité. Christopher Nolan continue de réfléchir sur le fonctionnement psychique, avec son lot de troubles et de perturbations. Al Pacino campe un homme vêtu d’une veste de cuir noir se retrouvant rapidement dans une enquête criminelle qui, peu à peu, le ronge, le dévore, dévoilant ses faiblesses. Loin des caractéristiques habituelles du policier, ce personnage est encore un exemple de cette volonté d’expliciter sur les confusions de l’âme humaine, que Nolan sait retranscrire. Dès le début, tous les protagonistes nous sont présentés comme des hommes perdus dans leurs fonctions, cherchant dans la résolution de ce crime un moyen de retrouver un professionnalisme disparu, sauf ce Will Dormer, sûr de lui et qui va s’investir pleinement dans l’enquête. Pourtant, celui-ci va progressivement sombrer dans une forme de souffrance, touché par des insomnies persistantes altérant ses capacités. C’est là que Nolan joue avec nos nerfs, également celui de son personnage diminué par une fatigue grandissante, dans une atmosphère froide et sombre.  Le scénario argumente sur ces tendances insomniaques, celles-ci devenant un autre adversaire coriace, avec bien sûr la présence d’un tueur manipulateur et organisé. Dans Insomnia, les défaillances se révèlent plus importantes que le duel, et l’environnement montagnard et glacial ne fait que les augmenter. L’autre protagoniste est bien ce milieu naturel, à une époque où le soleil ne se couche pas, favorisant les insomnies, preuve que Nolan utilise ce décor comme déclencheur du déclin physique.  

Insomnia s’amuse à rentrer dans le fonctionnement du cerveau d’un homme désabusé, affrontant un ennemi pervers. Personnage purement nolanien puisque perturbé par une affaire passée (on l’a aussi vu dans Memento), ce Will Dormer rentre dans le piège de la manipulation orchestrée par un Walter Finch profitant de la situation pour s’en sortir. De ces insomnies découle un déséquilibre palpable et un récit surprenant proposant de multiples possibilités et directions, allant vers une fin indécise où tout est possible. Robin Williams interprète parfaitement ce tueur finissant par prendre une ascendance psychologique et tirant profit de la déchéance physique. Christopher Nolan filme une opposition violente, mais contrastée, jouant sur cet équilibre instable. Toutefois, Insomnia ne propose pas qu’une lutte, mais se concentre surtout sur ce manque de sommeil conduisant Will à tuer involontairement son collègue dans une brume épaisse. On peut considérer qu’il existe dans ce film une forme de distorsion du réel, d’une déformation de la réalité touchant la perception et les capacités cognitives de cet inspecteur chevronné, ce rapport au temps et à l’espace que nous verrons dans d’autres films comme Inception ou Tenet. Même si Insomnia reste différent de ces deux films, on peut néanmoins y voir cette évocation d’un réel troublé par un épuisement psychique, surtout par une nature hostile contribuant fortement à cet état de fatigue, dans une région à la permanente luminosité. Avec sa mise en scène, Christopher Nolan met en scène un homme physiquement touché. Les plans rapprochés expriment la douleur d’un personnage face à une lumière aveuglante, et l’ensemble permet au spectateur de rentrer dans ce schéma obsédant, cette envie de justice. Cependant, l’œuvre gagne en qualité une fois que les deux personnages se rencontrent, et que l’écriture insiste sur le rapport de force déséquilibré, entre domination et mental détruit. Dès lors, Insomnia bascule dans une sorte de jeu entre un policier et un meurtrier, un duel psychologique où la faiblesse devient finalement une force pour mettre fin à la folie meurtrière. Dans le rôle de Walter Finch, Robin Williams impressionne encore, alors qu’il avait déjà tourné Photo obsession en 2001. Avec ce film, le metteur en scène valide son entrée dans la cour des plus grands, avant de s’atteler à la réalisation de sa trilogie sur Batman.  

4

RÉALISATEUR : Christopher Nolan
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : thriller, policier, drame 
AVEC : Al Pacino, Robin Williams, Hilary Swank, Maura Tierney 
DURÉE :  1h 56
DISTRIBUTEUR : Warner Bros Studios France 
SORTIE LE 6 novembre 2002