De son vivant : film de mort et de vivants

Emmanuelle Bercot ne ferait-elle pas partie de ces cinéastes boudées parce qu’on lui préfèrerait les films d’une Catherine Corsini ou récemment d’une Julia Ducournau. Pourtant, pourtant… Ce serait facile de lui reprocher ses choix thématiques, sa manière de filmer, les effets artistiques qu’elle veut produire, consciemment ou pas. Pourtant, pourtant… ne parle-t-elle pas d’essentiels, à sa belle manière à elle, et en gardant la tête haute ?

De son vivant, film de mort et de vivants, choisit de parler d’un sujet non seulement d’actualité comme d’un universel : la maladie humaine (le cancer, qui touche les jeunes gens) et la mort qui s’en suit. Il parle également, et je fais volontairement référence à La Fracture, du milieu médical, soignants, des aidants, des familles, tous et chacun pris dans des situations propres à leur milieu comme à leurs intimités respectives : souffrance enfouie ou présente, perte physique ou morale, solitude ou culpabilité, comment faire de son mieux pour accompagner quelqu’un au sortir de la vie comme d’ailleurs au moment de sa naissance. Benjamin (le méconnaissable Benoît Magimel) est professeur de théâtre, « acteur raté » comme il dit, de 39 ans, ayant sa mère pour principal environnement, elle est Crystal (Catherine Deneuve, toujours aussi forte pour ne rien faire et tout transmettre) et brille de la lourdeur de sa présence envahissante, n’ayant que lui au monde, il semble ; il a eu un enfant à 19 ans qu’il n’a pas reconnu, parti en Australie avec sa mère, et est victime d’un cancer du pancréas arrivé au stade 4, avec quelques mois pour faire le ménage de son bureau psychique comme lui dit le bienveillant médecin, le docteur Eddé (! noter la consonance du nom de ce véritable cancérologue new-yorkais, le Dr Gabriel Sara).

De son vivant, film de mort et de vivants, choisit de parler d’un sujet non seulement d’actualité comme d’un universel : la maladie humaine (le cancer, qui touche les jeunes gens) et la mort qui s’en suit.

Le film, oui, utilise nombre d’effets pour parler de vie et de morts, au plus près : gros plans, flous, plan penchés, plans elliptiques d’où des images s’échappent, utilisation d’une musique lancinante (pensez « nothing compares ») et histoire de créer une immersion, c’est assez à la mode en ce moment, et manque de profondeur d’image… Le film fait pourtant défi, à mélanger mélo à un humour parfois décapant, pris en charge par Benjamin, à la manière d’un défieur, à la manière des cours de théâtre à la dure qu’il donne à des élèves prêts à entrer au Conservatoire et dans lesquels il est également question (ou besoin) de représenter et jouer l’annonce de la mort, la perte, par l’être qui s’en va à l’être qui reste. Mise en abyme donc qui témoigne d’un intérêt porté par la réalisatrice au jeu d’acteur et à la question de la représentation, celle des temps – le passé, celui qui passe et la projection –, y compris au cinéma, y compris par le support photographique. On voit en effet le passé du jeune homme à travers des images rapportées dans sa chambre d’hôpital, histoire de se souvenir, de se revoir, de ne pas se perdre, ou le support sonore et non plus visuel, à travers des mélodies entendues et qui font trace, dans les oreilles ou les cœurs – que l’on entendra jouer par l’arthérapeuthe ou le fils retrouvé du héros. Le film interroge bien les traces, celle qu’on laisse d’un passage furtif sur la terre, celle d’une présence inconnue à l’autre, ou même de celle si familière au sein d’une famille, celle de l’absence : que sommes-nous, où allons-nous, qu’avons-nous aimé ? On entendra d’ailleurs des conseils du cancérologue, à la fois psychothérapeute et philosophe pour ses patients comme pour son équipe, les cinq mots à offrir avant de s’éloigner du monde humain : je pardonne, merci, au revoir, je t’aime, pardonne-moi, retentissants d’une humanité parfois perdue au sein des vivants.

Alors oui, le film prend des airs pathos avec ses moments très démonstratifs tout en véhiculant la joie qui émane de l’aide qu’on peut respectivement s’apporter : dans cette fiction romanesque (on peut penser le docu sur l’équipe soignante romancé, pourtant le docteur en question gère son service ainsi) ou théâtralisée quand elle est ponctuée par des scènes de jeunes gens en construction, récit ponctué par les quatre saisons, les soignants partagent leurs talents musicaux, chantent, dansent, rient ou mangent entre deux malades et expurgent les maux qu’ils récupèrent au contact des patients pour garder force et espoir face au drame permanent de leur métier. Infirmiers ou infirmières font également corps avec leurs patients à travers le récit de larmes non maîtrisées ou contenues, ou lorsqu’il est question de redonner un soupçon de libido (la scène et également le rôle de Cécile de France, le point noir du film- malgré sa beauté naturelle, sont purement incompréhensibles). Mais tout spectateur, en période de Covid ou non, saura être sensible à ces questions que le film aborde tout en les laissant ouvertes : l’injustice et la vérité, la défiance ou la confiance, l’héritage que l’on traîne et la paix vers laquelle on peut cheminer, par, pour, avec et sans l’autre…

[Benoît Magimel qu’on avait connu grossi et dévasté est à présent amaigri et dévasté pour une nouvelle raison, plutôt meilleure : un rôle qui nous le ramène au cinéma, enfin ! et qui le rend vivant, enfin ]

3.5

RÉALISATEUR :  Emmanuelle Bercot 
NATIONALITÉ : française
AVEC : Benoit Magimel, Catherine Deneuve, Cécile De France
GENRE : Drame 
DURÉE : 2h02
DISTRIBUTEUR : Studio Canal 
SORTIE LE 24 novembre 2021