Bones and all : la chair et le sang

Après s’être essayé au giallo avec Suspiria en réarrangeant à sa sauce le film homonyme de Dario Argento, le réalisateur de Call me by your name, Luca Guadagnino, revenait présenter son film Bones and all à la 79ème Mostra de Venise en septembre dernier, empochant par la même occasion le Lion d’argent du meilleur réalisateur. Ce long-métrage envoûtant, sorte de road-movie d’apprentissage doublé d’une jolie romance sur fond de cannibalisme, est un nouvel exemple de Guadagnino de maîtrise de la mise en scène et de la composition de l’image.

Maren (Taylor Russell, découverte dans Waves), une lycéenne des années 80 dans l’Amérique profonde, après avoir succombé une énième fois à un cannibalisme pulsionnel et irrépressible dont elle pense être la seule atteinte, se fait abandonner par son père, part à la recherche de sa mère et rencontre Lee (Timothée Chalamet, Dune, The French Dispatch), un adolescent à la dérive qui souffre du même problème. Ils partent ensemble à travers les routes des États-Unis en quête de vérité et d’ailleurs, mais aussi d’intégration et tombent amoureux l’un de l’autre. Bones and all est adapté du roman éponyme de Camille DeAngelis, par le scénariste David Kajganich, qui a déjà collaboré avec Guadagnino sur A Bigger splash et Suspiria.

Ce long-métrage envoûtant, sorte de road-movie d’apprentissage doublé d’une jolie romance sur fond de cannibalisme, est un nouvel exemple de Guadagnino de maîtrise de la mise en scène et de la composition de l’image.

Ce qui marque dans ce film, c’est avant tout une sensualité sans pareille dans la filmographie du cinéaste italien. Mêlant cinéma d’horreur avec des scènes pouvant parfois franchement heurter la sensibilité de ceux que l’hémoglobine et la chair fraîche font vite tourner de l’oeil, mais aussi séquences romantiques d’un amour bohême, tendre et intense entre deux post-adolescents, il en ressort cette impression qu’on arriverait presque à ressentir le toucher, le goût et l’odorat uniquement avec le sens de la vue, pour le plus délectable comme pour le plus ecoeurant. La photographie, signée Arseni Khachaturan (The idol, Beginning), en est en grande partie responsable, dégageant quelque chose de très organique à l’image, mais aussi de très doux, avec beaucoup de superbes plans en extérieur, éclairés en lumière naturelle, dans l’infinie immensité des paysages américains. On pense notamment à cette scène dans les plaines du Midwest, où l’histoire, constamment en mouvement sur la route à travers de nombreux états, ralentit brutalement pour aérer le récit et offrir aux deux protagonistes le répit qu’ils méritent. Le réalisateur semble continuer à affectionner de tourner en 50mm comme pour Call me by your name, objectif qui retranscrit l’image à peu près de la même façon que l’oeil humain. Les plans sont très joliment composés, la caméra souvent placée de manière astucieuse, et chaque image donne du sens à l’histoire, et, isolée du film, pourrait devenir une photo à encadrer. L’immersion dans les années 80 est réussie. La bande-son est signée Trent Reznor et Atticus Ross, qui nous avaient habitué à plus élaboré que ces mélodies assez simplistes de guitare, dans Gone girl ou The Social network.

Bones and all, c’est aussi le récit de personnages marginaux, dont l’intégration sociétale est impossible. Qui dit film sur la route dit rencontres, et ce sont plusieurs de ces humains aux habitudes alimentaires particulières que Maren et Lee vont apprendre à connaître, parfois au péril de leur vie. Des personnages qui, pour certains, sont des rednecks, pour d’autres, présentent une grande fragilité psychologique, et qui donc même sans cette envie irrépressible de dévorer de la chair humaine (qui n’est pas sans rappeler Grave de Julia Ducournau) sont déjà au ban de la société. Mais ajoutez à cela ce handicap de taille et l’insertion en devient alors inenvisageable, dans un pays où la différence est vite pointée du doigt. Le personnage de Sully, campé par le génial Mark Rylance (Don’t look up : déni cosmique, Dunkerque), joue la versatilité, tantôt ami attendrissant, tantôt déséquilibré terrifiant. C’est également un récit des premières fois, du premier baiser, du premier amour ou encore du premier meurtre, du premier corps dévoré à deux. Timothée Chalamet excelle dans son personnage de jeune homme réservé et excentrique, et Taylor Russell mérite amplement son prix du meilleur espoir à la Mostra de Venise, tant elle incarne à merveille ce personnage à la fois paumé, mais toujours pro-actif et peu enclin à se laisser partir à la dérive, comme le fait tout le monde autour d’elle. On regrettera un final shakespearien un peu exagéré mais qui, heureusement, ne gâche pas le tableau d’ensemble.

Ce long-métrage de Luca Guadagnino est donc un étrange mais très joli mélange d’amour poétique sur la route, de film d’horreur cannibale et de portrait de rejets métaphoriques d’une Amérique désenchantée des années 80. Le tout dans un bel exemple de mise en scène de l’exil et de romance bohême, qui ne laissera peut-être pas une trace indélébile en sortie de projection, mais donnera la conviction d’avoir vu un film original et joliment réalisé.

4

RÉALISATEUR :  Luca Guadagnino
NATIONALITÉ : Italie, USA
AVEC : Taylor Russell, Timothée Chalamet, 
GENRE : Drame, thriller, horreur
DURÉE : 2h10mn
DISTRIBUTEUR : Warner Bros
SORTIE LE 23 novembre 2022