Dessin : Volar

À (re)voir : cinéma français & politique

La politique est une affaire de corps. A l’image, il peut être en tension, comme dans L’Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller, gourmand et loquace dans Pater d’Alain Cavalier, mais aussi féminin dans la série Baron Noir d’Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon. Un corps qui s’expose et s’impose, dans ses forces comme dans ses faiblesses. Une trajectoire intime qui se conjugue obligatoirement au pluriel : son destin est l’épreuve du monde. Le niveau d’intensité et les préoccupations varient selon les échelles, allant de la commune avec Chez nous de Lucas Belvaux à la grande métropole avec Alice et le maire de Nicolas Pariser, en passant par l’incarnation du pouvoir suprême, le palais de l’Elysée, dans Le Monde d’hier de Diastème. Que ce cinéma soit celui d’un combat pour une cause, du crépuscule d’un mouvement ou encore du quotidien d’élus, il donne à voir une représentation du pouvoir et de la société. Dans En Guerre de Stéphane Brizé ou La Fracture de Catherine Corsini, la politique des uns s’inscrit sur le corps des autres. Un rapport aux idées, mais aussi à l’époque, notamment dans Effacer l’historique du duo grolandais Gustave Kervern et Benoît Delépine, où le virtuel devient la norme. Pour parler de ces trajectoires et de ces enjeux, les genres utilisés sont nombreux : le documentaire (Le Président de Yves Jeuland, Un pays qui se tient sage de David Dufresne), la comédie (Le Poulin de Mathieu Sapin), le biopic (De Gaulle de Gabriel Le Bomin), le drame (Les Promesses de Thomas Kruithof), le thriller (Le Grand jeu de Nicolas Pariser, la série Les Sauvages de Rebecca Zlotowski et Sabri Louatah) ou encore l’anticipation (Gaz de France de Benoit Forgeard). Un paysage cinématographique français relativement dense, mais pas sans lacunes. Si les productions s’intéressant à des personnages politiques sont de plus en plus nombreuses, l’incarnation du pouvoir à l’image reste un casse-tête pour les cinéastes français. Là où le cinéma américain s’empare de ses figures politiques présentes et passées (les films d’Oliver Stone sur JFK, Nixon et Bush; Lincoln de Steven Spielberg), la France n’a qu’effleuré l’histoire de ses présidents. Un vaste territoire pour le cinéma français de demain.

Vous l’aurez compris, dans ce premier numéro de « À (re)voir » nous vous proposons de (re)découvrir plusieurs films et séries traitant de politique. Un univers en mutation permanente où la réalité se mêle à la fiction, où le spectateur vient avec ses idées et peut discuter avec le film de sa représentation de la société, de la nature, du vivant. Une occasion aussi de se familiariser avec des institutions, de découvrir des luttes, de se confronter à des idées. Enfin, dans les arcanes du pouvoir, où tout est négociation et ruse, germe des illusions et mirages : l’influence de la culture sur nos croyances, nos valeurs.

Pour poursuivre cet échange, nous vous recommandons chaudement de visionner la rencontre « Filmer le pouvoir politique et sa conquête » organisée par l’ARP en mars.


L'Exercice de l'Etat
1h52 | Drame – 2011| Pierre Schoeller | avec Olivier Gourmet, Michel Blanc
  • Sypnosis

Le ministre des Transports Bertrand Saint-Jean est réveillé en pleine nuit par son directeur de cabinet. Un car a basculé dans un ravin. Il y va, il n’a pas le choix. Ainsi commence l’odyssée d’un homme d’Etat dans un monde toujours plus complexe et hostile. Vitesse, lutte de pouvoirs, chaos, crise économique… Tout s’enchaîne et se percute.

  • Notre avis

Au cœur d’une nuit meurtrière, Bertrand Saint-Jean, incarné par un exceptionnel Olivier Gourmet, fantasme d’une femme rampant dans la bouche d’un crocodile au milieu d’un fastueux bureau de l’Etat. Une mordante fantaisie d’un appétit dangereux : dans ce songe, est-il le croqué ou le croqueur ? Avec L’Exercice de l’Etat, le réalisateur Pierre Schoeller interroge le complexe rapport que nous entretenons avec le pouvoir. Un chemin sinueux où le plus grand des idéalistes peut se perdre, aveuglé par l’ambition et corrompu à force de compromissions. Pas de requins donc, mais des crocodiles aux dents aiguisés. Une œuvre en tension à la mise en scène virtuose, oscillant entre le thriller et le drame.

À voir aussi : la série Baron Noir créée par Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon, où la fin n'est jamais loin : le PS, à bout de souffle, s'accroche en s'inspirant de Machiavel, "la fin justifie les moyens".

Pater
1h45 | OFNI – 2011 | Alain Cavalier | avec Vincent Lindon, Alain Cavalier
  • Sypnosis

Pendant un an ils se sont vus et ils se sont filmés. Le cinéaste et le comédien, le président et son 1er ministre, Alain Cavalier et Vincent Lindon. Dans « Pater », vous les verrez à la fois dans la vie et dans une fiction qu’ils ont inventée ensemble.

  • Notre avis

Attention, OFNI (Objet Filmique Non Identifié) en vue. Pater du singulier cinéaste Alain Cavalier surprend par son procédé : la cloison entre réalité et fiction est confuse, au point où il est parfois même difficile pour les acteurs de retrouver le fil du vrai dans ce grand faux. Une parenthèse ludique et originale où le président Cavalier échange ses vues sur la société avec son 1er ministre Lindon, aussi bavard que gourmand. Ensemble, ils dévorent le monde. Une expérience aussi subtile que clivante qui, on vous l’assure, vaut le détour


Chez Nous
1h59 | Drame – 2017 | Lucas Belvaux | avec Emilie Dequenne, André Dussollier
  • Sypnosis

Pauline, infirmière à domicile, entre Lens et Lille, s’occupe seule de ses deux enfants et de son père ancien métallurgiste. Dévouée et généreuse, tous ses patients l’aiment et comptent sur elle. Profitant de sa popularité, les dirigeants d’un parti extrémiste vont lui proposer d’être leur candidate aux prochaines municipales.

  • Notre avis (Poulet)

Chez nous de Lucas Belvaux s’acquitte honnêtement de sa tâche, sans accéder à des hauteurs qu’un Chabrol ou un Verhoeven auraient pu atteindre ; il manque pour cela de cruauté et de drôlerie, même s’il n’en est pas complètement dépourvu : le changement d’affiche électorale en catastrophe est amusant bien que prévisible, et je ne remercie pas le film de m’avoir collé dans la tête l’horrible chanson de Patrick Sébastien, qu’il a la méchanceté de faire reprendre en chœur par la petite fille de l’héroïne… ’’Ah, si tu pouvais fermer ta gueule, ça nous ferait des vacances’’.

À voir aussi : La Cravate de Mathias Théry et Etienne Chaillou, un documentaire atypique sur le parcours d'un militant d'extrême droite dans un parti en pleine opération de "dédiabolisation".

Les Promesses
1h38 | Drame – 2022 | Thomas Kruithof | avec Isabelle Huppert, Reda Kateb
  • Synopsis

Maire d’une ville du 93, Clémence livre avec Yazid, son directeur de cabinet, une bataille acharnée pour sauver le quartier des Bernardins. Ce sera son dernier combat, avant de passer la main à la prochaine élection. Mais quand Clémence est approchée pour devenir ministre, son ambition remet en cause tous ses plans. Clémence peut-elle abandonner sa ville, ses proches, et renoncer à ses promesses ?

Les promesses porte bien son titre, et Thomas Kruithov semble nous en faire une belle de promesse : bon élève de l’image, intéressé par ses effets comme ses conséquences sur le spectateur, on ne peut que remercier le cinéaste d’offrir à 70 jours des élections la « possibilité d’une île », celle de la « petite encoche dans l’Histoire de France », qu’un être, soutenu par son peuple, pourrait offrir à toute une société…, y croire et percevoir la lumière dans le sombre périmètre. Affaire à suivre, affaire en cours, film approuvé !


Un Peuple
1h44 | Documentaire – 2022 | Emmanuel Gras | avec Agnès, Benoît, etc.
  • Sypnosis

En octobre 2018, le gouvernement Macron décrète l’augmentation d’une taxe sur le prix du carburant. Cette mesure soulève une vague de protestations dans toute la France. Des citoyens se mobilisent dans tout le pays : c’est le début du mouvement des Gilets jaunes.

Si Un peuple commence avec la douce et nostalgique chanson de Nino Ferrer qui faisait le tableau des environs de Chartres avec une caméra embarquée, La Maison près de la fontaine, passe par les pleurs d’une des citoyennes engagées, à bout de nerfs face à la durée et à l’échec du mouvement, il se finit sur le mouvement incessant de voitures qui semblent tourner à vide, une manière visuelle de constater qu’après la verticalité de l’Arc parisien encerclé et filmé en plongée, une forme d’horizontalité peut se repenser, à condition de tourner plus rond, et de ne pas oublier qu’un peuple meurtri n’est pas encore meurtrier, mais qu’un État meurtrier est déjà un peu détruit…

À voir aussi : J'veux du soleil de François Ruffin et Gilles Perret, un témoignage drôle et touchant d'une époque jaune fluo. Si le road-movie est orienté, la parole, entre solidarité et dignité, reste d'or.

Quai d'Orsay
1h53 | Comédie – 2013 | Bertrand Tavernier | avec Thierry Lhermitte, Raphaël Personnaz
  • Synopsis

Le jeune Arthur Vlaminck, jeune diplômé de l’ENA, est embauché en tant que chargé du “langage” au ministère des Affaires Étrangères. En clair, il doit écrire les discours du ministre ! Mais encore faut-il apprendre à composer avec la susceptibilité et l’entourage du prince, se faire une place entre le directeur de cabinet et les conseillers qui gravitent dans un Quai d’Orsay où le stress, l’ambition et les coups fourrés ne sont pas rares…

  • Notre avis

Il stabilote tout, Héraclite tout, Alexandre Taillard de Worms est un animal politique au sang chaud : une girouette aux allures de tigre. Une tornade qui saccage tout sur son passage, à coups de citations et autres pirouettes rhétoriques, dans l’espoir de trouver le discours de sa vie. Une chronique diplomatique tirée de la BD de Christophe Blain et Antonin Baudry, librement inspirée de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin. Une comédie rythmée et grinçante sur le pouvoir, énergiquement interprétée par un casting sur mesure. Une mention aux nostalgiques et élégantes mélodies de Sarde.


1h26 | Comédie – 2015 | Benoit Forgeard | avec Philippe Katerine, Alka Balbir
  • Synopsis

Dans la France des années 2020, Michel Battement, l’éminence grise du chef de l’état, doit d’urgence remonter la cote de popularité du président Bird afin d’empêcher la chute imminente du régime. Au fin fond des sous-sols surchargés de l’Élysée, il organise une consultation secrète, en compagnie des meilleurs cerveaux du pays.

  • Notre avis

« Pardon, si par mon attitude, j’ai quelquefois pu vous croquer, non seulement croqué, mais choqué » dans cet extrait de Gaz de France le président Bird, joué par le protéiforme Philippe Katerine, se fait la voix d’un autre. Il est l’incarnation du pouvoir, la partie visible d’un iceberg en proie à un choc imminent. C’est plus bas que se trouve les auteurs, la matière grise du régime, au niveau moins 2 de l’Elysée. Dans cet univers froid et minimaliste, on pense en secret la suite du récit : le président Bird, cloué au sol, doit impérativement s’envoler. Un autre OFNI, délirant et chantant, où le cinéaste Benoît Forgeard égratigne la communication politique et pense, en parallèle de ce que fut une « présidence normale », la place du dirigeant dans notre République. Un film accidenté, mais non sans charmes : une originale parodie de la politique, aussi absurde que poétique.


Les institutions en berne

Nicolas Pariser (Alice et le maire, 2019) ou Catherine Corsini (La Fracture, 2021) choisissent respectivement de montrer l’état de l’institution hospitalière ou politique, et des êtres qui la constituent. Qu’ils s’agissent des soignant.e.s ou d’un maire, il y est question d’engagement, de fatigue, de perte de vitesse et de désillusion, dans un registre plutôt léger. À ces deux fictions dans un registre plutôt comique, malgré les drames qui s’y déroulent, s’opposent deux œuvres plus sombres sorties la même année (2022), basées davantage sur la révélation et la dénonciation des dysfonctionnements du système politique quand il ne s’agit pas de corruption, ce avec l’aide et l’intervention des médias lorsque ce ne sont pas les réseaux sociaux qui s’en mêlent. Les termes mêmes des titres Enquête sur un scandale d’État (Thierry de Peretti) ou Les Promesses (Thomas Kruithov) ne sont pas sans évoquer la conditionnalité des valeurs qui fondent la République, au sein de l’État ou d’une mairie, et infusent davantage l’idée du doute que celle de l’espoir.