Les Promesses : paroles, paroles

Fausse promesse, vrai mensonge, faux semblant, vrai sentiment… croire ou ne plus y croire ?

Certains l’adorent, d’autres sont exaspérés… pourtant Isabelle (Huppert), bientôt 70 ans, plus d’une centaine de rôles à son actif, avec toujours cette même impassibilité, et ses mollets ultra musclés, est là, campée, dans le personnage de mairesse qu’elle incarne, le théâtre lui ayant offert de développer l’introspection nécessaire à tout jeu d’actrices avant d’en faire ressortir la substantifique moelle…

Isabelle est Clémence Collombet, une élue dans une banlieue de Seine-Saint-Denis (images de Grigny, tournées à Clichy et parti potentiellement socialiste, de ce que l’on peut déduire), en fin de mandat – elle a annoncé ne pas vouloir renouveler sa candidature et a formé la plus jeune Naidra (Naidra Ayadi) – et tente d’obtenir la subvention de 63 millions d’euros destinée à la rénovation promise de la cité insalubre des Bernardins, prête à s’écrouler… Son monde, à la manière d’une galerie de portraits, n’est que masculin et plutôt prédateur à l’exception de son directeur de cabinet, Yazid (Reda Kateb), présent pour l’accompagner comme la soutenir, normalement comme le Pierre Messac (H. Pierre), Président de son parti, Jérôme Narvau (l’excellent Laurent Poitrenaux), Président du Grand Paris, qui a repéré Clémence, peut bien l’aider comme il se jouera d’elle pour un éventuel poste de ministre, Guillaume Mars, jeune directeur de cabinet du Premier ministre, non sans rappeler notre cher et jeune Président de la République (!), Chaumette, administrateur de la copropriété et en peine de récupérer des charges toujours trop élevées pour les habitants, Michel Kupka, président du conseil syndical de la cité concernée, professeur de natation qui vit ici depuis 30 ans sans plus aucune confiance dans les manigances politiques, ou encore Frédéric Esposito, qui vient chercher mensuellement les loyers de migrants exploités pour un marchand de sommeil vétérinaire… bon français… incarné par le sordide Jean-Marc Forgeat…

Le film interroge ainsi les subtilités qui distinguent autorité et pouvoir, éthique et stratégie, ambition et loyauté, soit toutes problématiques rencontrées par un individu venu représenter la collectivité, et exprime le rôle d’un élu local en prise avec le pouvoir national.

Au milieu d’eux, Clémence est montrée comme une femme seule autant que solitaire, son grand fils en partance, pas de père ou d’ex-mari visible ; dans sa grande demeure aux volets blancs, elle mange peu et bio, et semble encore croire qu’une forme d’honnêteté morale existe en politique, tout en se jouant de ses talents de stratège. Les films ayant pour cadre le monde politique, ses travers, ses dessous et/ou ses institutions (parti, police, justice…), prompts à les dénoncer ou à en faire le tableau aiguisé, n’ont pas manqué depuis ces dernières années avec notamment Chez nous (L. Belvaux 2017), Alice et le maire (N. Pariser 2019), La Cravate (M. Théry et É. Chaillou 2019), Les Misérables (Ladj Ly 2019), Merveilles à Montfermeil (J. Balibar 2020), Bac Nord (C. Jimenez 2021) et plus récemment Municipale (T. Paulot 2022), chacun s’éloignant ou se rapprochant d’un des plus beaux, Pater (A. Cavalier 2011). Les Promesses ne joue pas du tout sur la même corde, et résonne davantage avec le précédent long de Thomas Kruithov, La Mécanique de l’ombre. La mise en scène du film n’échappe pas à quelque pauvreté avec des jeux de champs-contrechamps, qui parfois rendent binaires le récit, ou des éléments de scénarios inutiles (comme la rencontre violente entre le directeur de cabinet et le jeune de la cité, ou son passage dans une fête d’immigrés de l’est au bar), malgré une tentative de découpage/montage au cordeau.

Pourtant pourtant, on reste captivés par les échanges entre les personnages (généralement par paires), soit par le travail des acteurs qui donnent à cette forme filmique, mimétique du politique, une double casquette entre documentaire et romanesque : car le politique n’apparaît-il pas ainsi avec ses décisions aléatoires étrangement, à l’emporte-pièce souvent, inégalitaires parfois ? Ainsi, en 1h38, le film offre le tableau de mentalités actuelles qui s’opposent : d’un côté, le capital et ses gros sous, la corruption, les chantages, le clientélisme propre aux calculs politiciens, et les petits arrangements entre amis (du caïd de la cité au directeur de cabinet du gouvernement), les remaniements ministériels en lien avec des élections à venir, d’un autre le travail d’une élue locale, entre serrage de mains et appels permanents, et des valeurs qui ne peuvent pas rester inébranlées. Clémence représente ainsi l’aplomb et le courage (de la parole à l’action), quand Yazid symbolise l’abnégation et le dévouement (de l’action à la parole). Le film interroge ainsi les subtilités qui distinguent autorité et pouvoir, éthique et stratégie, ambition et loyauté, soit toutes problématiques rencontrées par un individu venu représenter la collectivité, et exprime le rôle d’un élu local en prise avec le pouvoir national. S’alternent donc des plans dans les salons de l’Élysée ou de celui de la demeure de Clémence, des réunions de travail dans les locaux de la mairie ou des passages obligés dans les manifestations de la Ville, des scènes montrant la dangerosité de l’état de la cité avec ses fuites dans les couloirs d’immeubles ou ses intérieurs insalubres où logent trop de gens au m2. S’affrontent le beau et le laid, le bon et le mauvais, le doux et l’amer, le personnel et le solidaire, le public et l’intime, lieux philosophiques dans lesquels l’espoir ou l’espérance n’ont que peu de place, et par lesquels une femme est montrée dans le doute, prête à craquer, abandonner, ou à revenir, et assumer… (à quel prix ? vous verrez !)

Quoi qu’il en soit, le film porte bien son titre, et Thomas Kruithov semble nous en faire une belle de promesse : bon élève de l’image, intéressé par ses effets comme ses conséquences sur le spectateur, on ne peut que remercier le cinéaste d’offrir à 70 jours des élections la « possibilité d’une île », celle de la « petite encoche dans l’Histoire de France », qu’un être, soutenu par son peuple, pourrait offrir à toute une société…, y croire et percevoir la lumière dans le sombre périmètre. Affaire à suivre, affaire en cours, film approuvé !

3.5

RÉALISATEUR :  Thomas Kruithov,
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Isabelle Huppert, Reda Kateb, Naidra Ayadi
GENRE : Drame
DURÉE : 1h38 
DISTRIBUTEUR : Wild Bunch Distribution 
SORTIE LE 26 janvier 2022