When You Finish Saving The World : la satire d’un lien mère-fils

Habile derrière la caméra, c’est tout tremblant et hésitant que Jesse Eisenberg entre sur scène pour présenter en avant-première son premier long métrage, When You Finish Saving The World en ouverture de la Semaine de la Critique en cette 75ème édition du Festival de Cannes. Si Jesse Eisenberg a fait ses preuves en tant qu’acteur, la question se pose : va-t-il autant briller dans l’ombre qu’il ne l’a fait dans la lumière ?

A travers When Your Finish Saving The World, Jesse Eisenberg évoque deux thèmes principaux, la communication intergénérationnelle et l’engagement, ou, a minima, l’intéressement, politique. Un jeune adolescent, Ziggy, star des réseaux sociaux en raison de sa talentueuse passion pour la musique, voit dans la richesse un moyen d’accomplissement et une fin en soi. Ziggy est déconnecté et désintéressé de toute question politique. Si sa mère l’a initié jeune au combat et à l’engagement, celui-ci s’est vite éloigné de ces préoccupations pour se centrer sur lui-même. Son narcissisme semble être son seul point commun avec sa mère. Il (re)découvre l’engagement politique par ses camarades et notamment par une fille qui lui plaît. Mais ce n’est qu’un semblant d’ouverture vers le monde, son « engagement » étant comme toutes ses actions réalisé dans son intérêt propre.  Sa mère s’occupe d’un foyer de femmes battues. Personnage froid et rigide, elle se prend d’affection pour, Kyle, le fils d’une femme accueillie au foyer. Sa volonté de les aider laisse la place à une folie émotionnelle.

Si la mère voit son fils la rejeter, se centrer sur lui-même et se consacrer à ses passions, c’est le regard de la mère sur son fils qui grandit que le film questionne.

Telle mère tel fils, les deux personnages représentent des archétypes de la société contemporaine. Ziggy est le portrait frôlant le cliché d’un adolescent rebelle, star des réseaux sociaux, rejetant l’éducation à la politique qu’il a reçue enfant. La mère est elle aussi assez proche du cliché, marâtre aride aux paroles dures envers son enfant, elle refuse d’essayer de le comprendre, préférant trouver en la personne de Kyle l’enfant rêvé. Le film montre ainsi la complexité de la relation maternelle au moment du passage de l’enfant à l’adolescent. Si la mère voit son fils la rejeter, se centrer sur lui-même et se consacrer à ses passions, c’est le regard de la mère sur son fils qui grandit que le film questionne. N’est-ce pas sa peur de voir son fils s’émanciper et se consacrer à ses propres passions qui biaise sa perception du comportement de celui-ci ? Si le portrait de cette relation peut sembler à la limite de la caricature d’une relation mère-fils qui se complique à l’adolescence de ce dernier, il ne faut pas s’arrêter à cette première impression. En effet, le film semble mettre fin au mythe de l’adolescent qui rejette ses parents. Il montre ainsi une mère qui voit son fils s’éloigner, et non un fils qui s’éloigne. Le regard de la mère et la grande part de subjectivité quant à sa progéniture en pleine émancipation sont centraux. Le comportement de celle-ci témoigne du rejet de l’émancipation de son fils, mais en tant que responsable d’un foyer permettant à des femmes battues de s’éloigner de leur mari, elle tient un rôle plus complexe : l’émancipation n’est-elle pas l’objet de son combat ? Sa relation avec son fils fait exception au principe, témoignant de la particularité de ce lien.

L’engagement politique est questionné. Ziggy est ainsi totalement désintéressé des problématiques géopolitique et environnementale, et ce désintérêt est présenté comme le pire vice possible. Tout intérêt doit être politique, toute action doit viser l’engagement, pour simplifier, tout doit être fait pour « Saving the World » (sauver le monde). Alors Ziggy donne et se donne l’illusion d’un engagement politique. Cette mutation de ses intérêts n’est que superficielle et motivée par la volonté de plaire et d’être considéré comme un adulte et non plus comme un enfant jouant pour passer le temps avec sa guitare et ses cordes vocales. Mais Ziggy est un musicien passionné, un génie, comme le dit l’un de ses amis. When You Finish Saving the World a l’audace de critiquer comme cela est rarement fait la course à la politisation, la recherche de l’engagement à tout prix. La question de l’art et de la finalité qui devrait être la sienne est présente tout au long du film. On préférerait de Ziggy qu’il soit un faux engagé qu’un vrai passionné, on lui demande de mettre son art à l’œuvre de problématiques mondiales, quand lui veut créer pour faire oublier à son public ces mêmes problématiques. C’est l’art engagé contre l’art pour l’art, l’art comme moyen ou l’art comme fin, des problématiques opposées qui sont ici posées.  

Cette première oeuvre de Jesse Eisenberg paraît être un puzzle dont certaines pièces manquent. En 1h30, le spectateur accède à des personnages aux comportements complexes et atypiques, à des relations ambivalentes et instables dont la réalité n’existe qu’à travers le regard de ces derniers, à des questions de liens et de rupture, de guerre et de températures. Cette comédie américaine représente le nouveau terrain de jeu d’un artiste qui cherche ses marques dans un domaine qui n’est pas a priori le sien. Cette fragilité des débuts se fait sentir, elle touche, émeut et laisse sur les yeux des spectateurs, comme le goût salé de l’eau sur la peau des baigneurs, l’espoir d’y plonger à nouveau.

3.5

RÉALISATEUR :  Jesse Einsenberg
NATIONALITÉ : américain
AVEC : Julianne Moore, Finn Wolfhard, Billy Brik
GENRE : Comédie dramatique
DURÉE : 1h28
DISTRIBUTEUR : 
SORTIE LE Prochainement