Simone, le voyage du siècle : une femme de notre temps

Après La Môme et Grace de Monaco (de sinistre mémoire), Olivier Dahan poursuit son exploration des grandes figures de femmes légendaires avec Simone, le voyage du siècle, consacré au destin hors normes de Simone Veil, déportée devenue magistrate, ensuite ministre de la santé, enfin Présidente du Parlement européeen : après la chanteuse et l’actrice, donc la femme politique. Simone, le voyage du siècle, permet en fait d’étudier de près les notions d’académisme et déconstruction scénaristique, tant la mise en scène et le scénario du film paraissent s’en inspirer.

Née Simone Jacob, Simone Veil est présentée sous ses multiples facettes dans ce biopic déconstruit à loisir. Entre son expérience tragique et douloureuse de la déportation, sa famille fracassée par la Shoah, sa défense de sa loi sur l’avortement, son travail de Ministre de la santé, son combat féministe, sa figure semble aujourd’hui étrangement d’une brûlante actualité.

Conçu pour célébrer une des grandes figures du siècle dernier, Simone, le voyage du siècle s’avère certes nécessaire, mais guère suffisant.

Le film commence par une mise en parallèle cacophonique assez osée mais finalement juste entre les vociférations des nazis s’occupant de la déportation et les protestations colériques des députés français à la présentation de la loi sur l’avortement dite Loi Veil de 1974. Néanmoins, après ce coup d’éclat, le film va globalement sombrer dans un académisme de bon aloi. Qu’est-ce que l’académisme? Lorsque le metteur en scène reproduit sans imagination des formes déjà apprises, sans insuffler le moindre lyrisme ni le moindre soupçon d’incarnation. Certes, Olivier Dahan ne reproduit pas ici la catastrophe nommée Grace de Monaco mais ne parvient pas à s’échapper des clichés et de la reproduction mimétique de scènes déjà connues, en particulier dans la partie relative à Simone Veil ministre.

Car il existe une nette différence entre les deux incarnations de Simone Veil présentées dans le film : Rebecca Marder (Simone jeune), parvient à faire exister son personnage, en-dehors des représentations connues, grâce à son dynamisme ébouriffant. En revanche, Elsa Zylberstein (Simone plus âgée), également productrice du film, ne réussit pas à s’extirper réellement d’une certaine momification (déjà à l’oeuvre dans La Môme), tant elle demeure engoncée dans un tailleur d’un autre âge et figée dans l’apprêt de son chignon, pour pouvoir donner une épaisseur à ce personnage extraordinaire de femme, La tâche était sans doute plus facile pour Rebecca Marder à qui échoit le privilège de faire exister à l’écran la période la plus dramatique de la vie de Simone Veil (la déportation), ainsi que la moins connue, celle où magistrate attachée à l’administration pénitentiaire (la meilleure partie du film), elle va s’employer à améliorer les conditions de détention des prisonniers en France et en Algérie.

Dans Simone, le voyage du siècle, coexistent en effet de manière quasiment simultanée plusieurs périodes de la vie de Simone Veil. On passe de l’une à l’autre comme dans un immense Grand-Huit, par associations d’idées, sans transition. Le spectateur a ainsi parfois l’impression qu’on a tellement répété à Olivier Dahan qu’un biopic devrait être déconstruit pour ne pas ennuyer, qu’il a finalement dispersé les morceaux du puzzle pour permettre au public de le reconstituer. Ce choix scénaristique assez osé a néanmoins pour corollaire de nuire principalement à l’émotion. On peut en effet estimer qu’une narration linéaire aurait dans ce cas précis eu davantage de répercussions positives, permettant de suivre la progression de la trajectoire exceptionnelle de Simone Veil. A cela s’ajoute un respect absolu de la figure historique qui fait que, à partir de Simone Veil âgée, le film ne se trouve pas très loin de l’hagiographie, le seul véritable reproche étant fait à Simone Veil étant d’avoir négligé ses enfants lors de ses déplacements répétés des établissements pénitentiaires, alors qu’il eût été possible de mettre en cause un embourgeoisement croissant, l’éloignant progressivement des préoccupations des gens.

En fin de compte, Simone, le voyage du siècle s’avère un peu trop chaotique et trop compassé. Deux films très différents s’entrecroisent du début jusqu’à la fin : l’un très réussi présentant une Simone Veil jeune et terriblement intense, magistrat en charge de l’administration pénitentiaire ou blessée, humiliée et affamée lors de séquences très convaincantes sur l’expérience de déportation qu’elle a traversée avec sa mère et sa soeur ; l’autre, nettement plus figé, sur une Simone Veil, en tailleur strict et chignon, à partir de mai 1968. La bonne idée aurait peut-être été de rétablir la chronologie de la vie de Simone Veil de manière linéaire et de surtout confier le rôle du début à la fin à Rebecca Marder, incontestable révélation du film, qui aurait sans doute apporté un surcroît d’émotion à l’incarnation de son personnage âgé. Tel qu’il est, ce biopic s’appuie sur des maladresses de style mélodramatiques (les scènes où Simone Veil âgée s’effondre systématiquement en larmes) au lieu de se cantonner à une sécheresse de trait qui aurait été davantage gratifiante. Il est possible de regretter qu’au lieu de ressembler de bout en bout à la jeune femme impétueuse incarnée par Rebecca Marder, le film finisse par se trouver vidé de ses émotions et à bout de souffle comme la Simone Veil de la fin de son parcours. Conçu pour célébrer une des grandes figures du siècle dernier, Simone, le voyage du siècle s’avère certes nécessaire, mais guère suffisant.

2.5

RÉALISATEUR :  Olivier Dahan 
NATIONALITÉ :  française
AVEC : Rebecca Marder, Elsa Zylberstein, Sylvie Testud, Judith Chemla, Elodie Bouchez, Olivier Gourmet 
GENRE : biopic 
DURÉE : 2h20 
DISTRIBUTEUR : Warner Bros France 
SORTIE LE 12 octobre 2022