She said : l’enquête avant la tempête

Après s’être révélée à l’international sur Netflix avec sa mini-série Unorthodox, la réalisatrice allemande Maria Schrader signe une adaptation du livre éponyme des deux journalistes ayant provoqué la déferlante #MeToo sur le monde. Un film captivant sur des femmes qui libèrent la parole d’autres femmes dans un monde d’hommes, dans une esthétique peut-être parfois trop documentaire, mais avec un récit subtil rendant au journalisme d’investigation ses lettres de noblesse.

Megan Twohey, jouée par Carey Mulligan (Drive, Gatsby le Magnifique, Inside Llewyn Davis), journaliste au New York Times, publie en 2016 un article révélant des témoignages de femmes accusant le candidat à la présidentielle Donald Trump de harcèlement sexuel. Cela ne l’empêche pas d’être élu quelques mois plus tard président, et il semble alors que la libération de la parole n’atteint pas les hommes puissants. De son côté, sa collègue Jodi Kantor, dont le rôle est endossé par Zoe Kazan (Les Noces rebelles, The Big sick), a plusieurs enquêtes journalistiques majeures à son actif, dont celle des mères allaitantes sur le marché du travail. Leurs expériences passées vont les mener toutes les deux, sous la supervision de leur rédactrice en chef Rebecca Corbett (campée par Patricia Clarkson, La ligne verte, Shutter Island) à enquêter conjointement sur la multitude de dessous de table payés depuis des décennies par Harvey Weinstein pour étouffer des affaires de viols et d’agressions sexuelles. Une investigation compliquée tant par les clauses de confidentialité que les victimes ont signées par le passé, que par le difficile exercice de transformer un souvenir traumatique en parole publique, sans oublier les menaces et les tentatives de dissuasion du principal intéressé, et l’omerta globale de l’industrie cinématographique.

Nos deux journalistes y évoluent en duo de choc, frappant à toutes les portes qui seraient des pistes potentielles, tentant tant bien que mal d’obtenir des témoignages publics, avec méthode et détermination, tout en gérant en parallèle leur vie de mère et d’épouse. Les entretiens avec des femmes venant de plusieurs pays sont touchants, racontés avec leurs mots à elle, leur manière de dire les choses.

On est vite saisis par une ambiance assez particulière de silence dans une ville aussi bruyante qu’est New York, amplifiant une atmosphère globale de paranoïa, caractéristique des films du genre. Un danger tapi dans l’ombre des gratte-ciels écrasants de cette ville dont les richissimes magnats cités précédemment sont les véritables maîtres. Nos deux journalistes y évoluent en duo de choc, frappant à toutes les portes qui seraient des pistes potentielles, tentant tant bien que mal d’obtenir des témoignages publics, avec méthode et détermination, tout en gérant en parallèle leur vie de mère et d’épouse. Les entretiens avec des femmes venant de plusieurs pays sont touchants, racontés avec leurs mots à elle, leur manière de dire les choses.

Les véritables locaux du célèbre journal ont servi de lieu de tournage au film, la pandémie de Covid-19 se révélant être une aubaine pour la production puisqu’ils ont été en partie désertés à ce moment précis où le télé-travail était de rigueur, une première pour un film de cette ampleur. Pour la préparation du film, les deux comédiennes principales sont allées rencontrer à plusieurs reprises les deux journalistes à l’origine de l’enquête.

La mise en scène est simple, mais appréciable. On ne tombe jamais dans la stigmatisation des hommes en général, dont beaucoup finalement assurent un rôle de soutien aux deux protagonistes, tels leurs maris qui prennent le relais avec les enfants quand l’enquête commence à devenir franchement chronophage, ou encore le rédacteur en chef Dean Baquet (joué par Andre Braugher, Brooklyn Nine-Nine, Homicide), véritable bouclier permettant d’assurer à ses collègues un environnement de travail libre et sécurisé. Harvey Weinstein n’apparaît quasiment jamais de manière tout à fait volontaire, laissant toute la place aux femmes. Il y a très peu de mouvements de caméra, sauf quelques travellings latéraux dans les bureaux du Times, clins d’oeil (très) appuyés à Les hommes du président d’Alan J. Pakula.

Et c’est peut-être là le seul véritable problème de ce film : un style un peu trop documentaire. Beaucoup d’entretiens se font au début par téléphone, sans jamais apercevoir l’interlocuteur, entrecoupés d’inserts de la ville ou bien des appartements des protagonistes rappelant parfois certains magazines TV d’investigation. Le langage cinématographique est sous-exploité, à part peut-être des déplacements de la gauche vers la droite des personnages quand l’enquête avance ou certaines compositions de plans, de manière anecdotique. Mais finalement cette mise en scène se rattrape en mettant en exergue le talent de toutes ces comédiennes, tant dans le rôle de journalistes (qui excellent en femmes fortes et indomptables dont le jeu est aussi poignant que complémentaire) que celui de victimes. On notera la présence d’Ashley Judd (Heat, La chute de la Maison-Blanche), actrice et militante féministe dans son propre rôle.

La fin, on la connait, le producteur de 63 ans se retrouve mis au ban de toute l’industrie cinématographique puis incarcéré pour une durée de 23 ans et toujours en butte à des procès encore en cours, de multiples enquêtes révèlent dans les années qui suivent toujours plus de témoignages de femmes agressées sexuellement ou violées, le mouvement #MeToo créé en 2006 se rattache à ces témoignages et prend une dimension nationale puis mondiale et libère la parole de milliers de femmes ayant subi ce type d’agressions, menant à une quatrième vague féministe. Le pari du film, celui de laisser un témoignage authentique pour les générations futures de ce qu’a impliqué ce tournant majeur tout en soulignant l’importance, dans notre société en proie à la désinformation, du véritable journalisme d’investigation, semble donc réussi. New York parait bien silencieuse, mais ce n’est finalement que pour signifier le calme avant la tempête.

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RÉALISATEUR :  Maria Schrader
NATIONALITÉ : USA
AVEC : Carey Mulligan, Zoe Kazan, Patricia Clarkson, Andre Braugher...
GENRE : drame, enquête, biopic
DURÉE : 2h09
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France 
SORTIE LE 23 novembre 2022