Madeleine Collins : Virginie a failli

Ce n’est pas parce qu’elle est blonde qu’elle est une héroïne d’Hitchcock, ni parce qu’elle est double qu’elle pourrait incarner la lynchienne. Virginie Efira, qui a pourtant excellé dans le rôle d’une psy (Sybil), d’une sœur (Benedetta), d’une coiffeuse (Adieu les cons), semble aussi perdue que le rôle qu’elle interprète, soit la sœur la fille la mère l’épouse l’amante, soit Judith Fauvet (ou Pol), Margot Soriano, Madeleine Collins et consœurs…

Le récit aurait pourtant pu être effroyablement captivant : à partir du trauma initial qu’on taira, une femme perd pied et se forge une multiple identité pour exceller dans une sorte de Wonder Woman qui serait présente pour tous… Tour à tour dans une belle vie classique et bourgeoise auprès d’un chef d’orchestre et de ses deux enfants, une passion plus roots auprès d’un autre jeune bel homme avec une enfant, elle parcourt toute l’Europe pour réaliser traductions en live et ramener des cadeaux souvenirs à chacun…

Madeleine Collins est un film tout à fait contrôlé, qui répond à la totale maîtrise d’un personnage qui ne doit pas se faire démasquer, à travers des images hommage, mais qui caressent la caricature en illustrant tout au long des fonctions (traductrice, artiste, ouvrier, trafiquant), des statuts (riche, pauvre, hors norme), sous le regard totalement inquiétant des enfants

Le film, qui se concentre effectivement sur cette figure féminine qui passe sa vie à mentir, parvient, oui, à créer un profond malaise, pour autant le malaise n’est pas là où le spectateur l’attend.

Organisé autour de scènes classiques (concert, restaurant, vie quotidienne, travail), le montage ultra découpé, ultra instable avec un plan séquence très long et lent, frôlant l’ennui jusqu’à une accélération à ¾ avant de se clôturer sur un dialogue complètement décalé (avec la présence de Nadav. Lapid en trafiquant d’identités, plutôt incroyable comme apparition), ne livre que des plans aussi découpés sur des cous, des regards, des éléments figés et figeant malgré leur référentialité (à Hitchcock pour sûr). C’est ainsi que les montées en puissance répondent aux baisses de tension lesquelles caractérisent également l’héroïne qui doit prendre des médicaments pour éviter des malaises, non identifiés. Une scène, lorsqu’elle entend son amie diva (Valérie Donzelli) accompagner son chef d’orchestre d’époux est tout à fait réussie, car concentrée sur l’émotion qui anime Judith – ce que l’on discerne à travers son regard, ses clignements, ses impatiences jusqu’à l’étouffement –, véritable émotion qu’elle tente pourtant de fuir perpétuellement puisqu’elle passe sa vie à échapper à son autre vie, passe de ses blonds enfants à sa petite fille brune, de la Pologne à l’Espagne… Une autre scène lorsque sa mère, incarnée par Jacqueline Bisset, pète un plomb, aurait davantage pu être exploitée mais c’est encore la fuite.

Alors quoi ? C’est ici un film tout à fait contrôlé, qui répond à la totale maîtrise d’un personnage qui ne doit pas se faire démasquer, à travers des images hommage, mais qui caressent la caricature en illustrant tout au long des fonctions (traductrice, artiste, ouvrier, trafiquant), des statuts (riche, pauvre, hors norme), sous le regard totalement inquiétant des enfants… qui, eux, trinquent ! De ce point de vue-là, les rôles dits secondaires, plus nombreux masculins, assurent totalement le pari de quelque émotion parce qu’ils se sentent en danger, en trahison ou ont peur : les mari et amant, Bruno Salomone et Quim. Gutierrez d’un côté, les deux enfants sur lesquels le récit fait focale, Thomas Gioria ou Loïse Benguerel d’un autre. C’est alors un film qui fuit son sujet, soit la folie, soit la triple vie que doit incarner Virginie Efira, en se concentrant trop sur l’environnement visuel et les effets qu’un thriller doit produire sur le spectateur : résultat, de l’ennui dû la passivité puisque toute émotion est (volontairement) masquée (jusqu’au démasquage), ce malgré le jeu sur la bande son, prompte à accentuer l’angoisse qui surgit par moments, dommage. Et encore, on ne préfère même imaginer pas qu’il puisse s’agir d’une métaphore en période de crise sanitaire : vivre masqué, fuir, mentir, être ce tout à la fois de femme, sous le prétexte d’une névrose non résolue, à la manière de celles qu’on accusait d’hystériques aux siècles derniers.

On ne peut pas réussir à tous les coups, et pour ce vertige morbide de la maladie, Virginie a failli…

2.5

RÉALISATEUR :  Antoine Barraud 
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Virginie Efira, Bruno Salomone, Quim Gutiérrez
GENRE : Drame 
DURÉE : 1h47
DISTRIBUTEUR : Paname Distribution/UFO
SORTIE LE 22 décembre 2021