Les Chroniques de Poulet Pou : florilège Fritz Lang, suite. Fritz à gogo!

1. Les Araignées I — Le Lac d’or (Lang, 1919).

Proto Indiana Jones et le Temple maudit, un peu vieillot malgré de dispendieux décors. Les poursuites en wagonnet me gonflent dans le Spielberg, vous allez rire et vous exclamer, Ha, le mec jamais content, figurez-vous que je trouve que ça manque un peu de wagonnets ici. Je veux dire par là que les épisodes font souvent tableau statique, et que, pour les yeux blasés du spectateur du XXIe siècle, le rendu des scènes d’action laisse à désirer — je pense par exemple au décollage in extremis en ballon, où l‘image clé est escamotée, par manque de moyens techniques pour la réaliser. L’inondation — motif récurrent chez Lang, cf. paragraphe 3 — est quand même super chouette, de même que la visioconférence façon Mabuse. J’avoue avoir eu la flemme de regarder le deuxième volet, Le Cargo de diamants, dans lequel le héros assouvit sa vengeance — motif récurrent chez Lang, cf. paragraphe 2. J’espère que vous ne m’engueulerez pas trop.

2. Les Nibelungen I et II (Lang, 1924).

Lang et sa scénariste/épouse/muse/némésis von Harbou n’adaptent pas Wagner, comme je l’ai longtemps cru, mais la légende germano-nordique qui inspira au collier de barbe de Bayreuth son propre mythe. Nulle divinité à l’horizon, Wotan et Fricka sont aux abonnés absents, et laissent ces misérables humains — du reste catholiques, me semble-t-il — s’entre-tuer à qui mieux mieux. Il y a tout de même un dragon — magnifique bien que centenaire, Peter Jackson choke on it —, dont le sang magique répandu fera de Siegfried l’égal d’Achille. Le premier volet raconte les doubles et malheureuses noces du mâle et de la femelle alpha avec des partenaires un chouïa moins bons dans le genre aryen. Dans le deuxième volet, Kriemhild, veuve de Siegfried, montée en grade dans le genre aryen, ourdit sa terrible vengeance, à base de remariage avec Attila le Hun. D’une, c’est plastiquement dingue. De deux, sacrilège, j’ai maté ça à vitesse x1,5 avec de l’Autechre bien vénère en bande-son, conspuez-moi autant que vous voulez, sachez que ça sied parfaitement à la violence hallucinante de la chose — spécialement lors de la deuxième partie.

3. Metropolis (Lang, 1927).

Classique du film chiant vu au lycée en cours d’allemand, dont j’ignorais qu’en 2010 furent retrouvées des images — au total, une demi-heure manquante —, considérées jusque là comme perdues. On croit tout savoir à l’avance, et quand apparaît le héros enfariné tout de culottes de golf vêtu, on se dit que c’est vieillot et qu’on va se barber. Or surprise, culottes ou non, on est carrément impressionné et emporté. Le double personnage de Maria et son sosie proto Terminator constituent une incroyable trouvaille parmi tant d’autres, qui font de Metropolis une source intarissable de visions, où le cinéma actuel continue de puiser. Du reste, Lang lui-même en réutilisa des motifs dans ses films ultérieurs — deux exemples au hasard, un, le boss Fredersen et son rival savant fou Rotwang qui observent en cachette depuis une hauteur la cérémonie dans les catacombes, deux, l’inondation finale, l’un et l’autre faisant penser à ce qu’on voit dans Le Tombeau hindou.

4. Spione (Lang, 1928).

Sorte de Mabuse en moins sérieux. Le début donne le ton, les gratte-papiers ministériels dont on a volé les documents secrets se téléphonent des invectives de plus en plus salées en trépignant éperdument. Mais qui, qui, QUI a volé les papiers, bon sang. C’EST MOI, répond sardoniquement le génie du Mal qui apparaît soudain à l’écran. C’est parfois burlesque, parfois tragique, toujours palpitant et spectaculaire — on mesure les progrès réalisés depuis Les Araignées dix ans plus tôt. Détail aussi étonnant qu’amusant dans l‘intrigue foisonnante, le héros, répondant au numéro 326 plutôt que 007, a l’air au départ plus que compétent — il démasque en un clin d’œil le traître infiltré dans les bureaux du directeur dépassé des services secrets. Cependant, une fois qu’il s’est entiché de l’espionne du camp d’en face, et qu’il s’est rasé la barbe de trois jours pour lui plaire, le voici devenu aussi incapable que son nul de chef, et il ne fait plus grand-chose à part soupirer d’amour, et subir passivement les péripéties pendant tout le film. Heureusement pour lui, elle l’aime aussi.

5. Désirs humains (Lang, 1954).

La règle du jeu. Après une bonne dose de Lang muets et germaniques, concluons avec ce film, époque Hollywood, quoique il s’agisse d’un vrai-faux remake de La Bête humaine. Je le chéris particulièrement — je le préfère même à l’adaptation de Zola par Renoir, à laquelle il rend un bel hommage à la première séquence. Détail amusant, dans la cabine insonorisée de la loco des fifties, les mécanos pourraient se parler, mais ils se sifflent comme Lantier et Pecqueux. Revenons à mon accroche renoirienne, plutôt que LA, je devrais dire LES règles, tant les personnages ont l’air de jouer avec des cartes différentes. Les femmes — l’épouse et sa réjouissante amie dessalée qui habite en ville — tentent au début de convaincre le mari jaloux que tout ceci est une comédie de boulevard. Rien à faire, il semble vouloir à tout prix que les choses tournent au tragique. Qu’à cela ne tienne, tragédie ce sera. Cependant le héros, que l‘épouse a séduit, ne l’entend pas de cette oreille. Il a beau revenir de la guerre de Corée, le tragique, ce n‘est pas son rayon — les Américains middle-class sont sans histoire. Ainsi actionnera-t-il joyeusement le sifflet de sa locomotive, insoucieux du drame qui se dénoue dans un des wagons qu’il emmène. La tragédie de Gloria Grahame est une tragédie au carré. Au fond, ce n’est pas sa fausse perversité, mais la trop grande complexité de ses sentiments qui la perd. Elle aurait voulu qu’on lui donne une chance, que Glenn Ford ait en lui assez d’amour pour comprendre sa détresse. Mais l’amour absolu, celui qui fait tout pardonner, l’Américain moyen n’a pas ça non plus en magasin. À la fois subtil et brutal, grand film.