Viggo Mortensen, Mahershala Ali

Green Book, sur les routes du Sud : la route de la ségrégation

On se demande toujours si les comiques feront un jour un film dramatique. Comme si, par un préjugé étrange, le fait de se consacrer à la comédie pouvait empêcher l’expression de situations plus graves ou lacrymales. Or, Chaplin en est un bel exemple, la représentation de situations hilarantes permet de tout exprimer, y compris les faits historiques les plus tragiques, comme dans Le Dictateur. Dans l’ordre des préjugés, on n’imaginait pas les frères Farrelly, après les gaudrioles comiques de Dumb et Dumber ou Mary à tout prix, se dédier à un film dramatique. C’est pourtant chose faite, du moins pour l’un des deux frères, Peter, avec ce biopic de deux personnages ayant réellement existé, se passant durant les dernières années de la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Green Book, Sur les routes du Sud, après avoir remporté trois Golden Globes début janvier, s’annonce même comme l’un des grands favoris des Oscars.  

En 1962, alors que règne la ségrégation, Tony Lip, un videur italo-américain du Bronx, est engagé pour conduire et protéger le Dr Don Shirley, un pianiste noir de renommée mondiale, lors d’une tournée de concerts. Durant leur périple de Manhattan jusqu’au Sud profond, ils s’appuient sur le Green Book pour dénicher les établissements accueillant les personnes de couleur, où l’on ne refusera pas de servir Shirley et où il ne sera ni humilié ni maltraité. Dans un pays où le mouvement des droits civiques commence à se faire entendre, les deux hommes vont être confrontés au pire de l’âme humaine, dont ils se guérissent grâce à leur générosité et leur humour. Ensemble, ils vont devoir dépasser leurs préjugés, oublier ce qu’ils considéraient comme des différences insurmontables, pour découvrir leur humanité commune.

Green Book se caractérise par une absence totale de grossièreté, de vulgarité ou d’obscénité, une perfection technique de réalisation sans faille, et un humanisme constant et très émouvant

Car la toile de fond de Green Book est éminemment dramatique puisqu’elle confronte les deux personnages principaux à la ségrégation et aux préjugés raciaux. On ne s’étonnera donc pas de trouver parmi les producteurs de Green Book Octavia Spencer, actrice noire et grande activiste dans le domaine de la lutte contre le racisme. Peter Farrelly se penche ici sur une histoire d’amitié improbable entre deux êtres que tout oppose, un videur de boîtes de nuit italo-américain, Tony « Lip » Vallelonga, bas du front et grand baratineur devant l’Eternel et Don Shirley, un pianiste de jazz afro-américain, intellectuel et sophistiqué. Le premier va être engagé par le second comme chauffeur, pour le conduire lors de sa tournée dans le Sud profond, vers la fin de l’année 1962, alors que la ségrégation fait rage. Un petit livre, le Green Book, va les aider à repérer les établissements où les Noirs sont tolérés. 

Après le visionnage de Green Book, on pourra se demander quelle était la part de Peter Farrelly dans les films antérieurs de son tandem comique. Il est certes difficile de le dire en l’absence d’une œuvre signée seul de son frangin Bobby. Quoi qu’il en soit, Green Book se caractérise par une absence totale de grossièreté, de vulgarité ou d’obscénité, une perfection technique de réalisation sans faille, et un humanisme constant et très émouvant qui pouvait déjà se percevoir dans certains films du duo, comme Deux en un ou L’Amour extra-large. De là à dire que Peter représentait dans le duo le réalisateur-technicien et l’âme humaniste, il n’y aurait qu’un pas. Il est même possible de concevoir Green Book comme une métaphore de sa métamorphose artistique, de cinéaste blagueur (le videur de boîtes de nuit) à artiste consacré (le pianiste de jazz). 

Certes Green Book est un film éminemment prévisible, comme un Miss Daisy et son chauffeur inversé ou un Intouchables sans le handicap, et de manière générale comme tous les buddy movies qui sont également des road movies. Parfaitement lisse dans son exécution, la réalisation de Peter Farrelly n’essaiera pas un seul instant d’expérimenter ou d’innover formellement, mais se contentera de mettre en valeur des acteurs exceptionnels. Les esthètes seront peut-être déçus mais le public y trouvera largement son compte. Car Peter Farrelly a su choisir des acteurs complémentaires et tous les deux formidables dans leur registre: un Viggo Mortensen à contre-emploi, quasiment dans un rôle qu’aurait pu endosser James Gandolfini et un Mahershala Ali qui, après Moonlight, confirme ici et dans la saison 3 de True Detective (dans un rôle tenu à trois temporalités différentes), toute l’étendue de son talent. 2019 sera vraisemblablement son année. Il ne faut pourtant pas oublier non plus la merveilleuse Linda Cardinelli qui fait des étincelles en fée du logis et épouse de Vallelonga. 

Alors, certes, Green Book coche parfaitement la case du politiquement correct en prêchant l’amitié interraciale et l’intégration des communautés et en montrant que le racisme part davantage de préjugés stupides que de convictions haineuses. Néanmoins le film est un véritable feel-good movie, très drôle dans ses échanges de ping-pong verbal entre Tony et Doc, ce qui explique sans doute qu’il ait remporté le Golden Globe de la meilleure comédie, alors qu’il est plutôt rangé dans les drames. Si vous le voyez en salles, vous n’échapperez donc pas aux applaudissements en fin de projection. De même, comme le film se termine au moment des Fêtes de Noël, (comme dans les films de Capra), vous ne pourrez sans doute éviter de verser au moins une larmichette à la fin, tant le biopic a su se transformer en conte social. Tout ceci explique qu’en l’absence de grand film incontestable (La Favorite, son concurrent direct, étant nettement plus déstabilisant), Green Book part parmi les gagnants potentiels sur la route des Oscars. 

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RÉALISATEUR :  Peter Farrelly
NATIONALITÉ : américaine 
AVEC : Viggo Mortensen - Linda Cardellini - Mahershala Ali
GENRE : Drame, biopic
DURÉE : 2h10 
DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport 
SORTIE LE 23 janvier 2019