Les Crimes du futur : le corps est la réalité

A presque 80 ans, David Cronenberg semblait s’être éloigné pour toujours des plateaux de cinéma, après un Map to the stars sardonique sur l’univers frelaté de la célébrité, écrit par Bruce Wagner et présenté à Cannes en 2014. La simple information d’un nouveau film a donc suffi à remplir de joie plus qu’extatique les nombreux fans addicts à son univers tourmenté. Rien que pour cela, Les Crimes du futur, projet alléchant avec, excusez du peu, Viggo Mortensen, Léa Seydoux et Kristen Stewart, mérite déjà beaucoup plus que de la reconnaissance. Il représente en fait la possibilité inespérée qu’un grand maître du cinéma poursuive enfin son oeuvre. Très éloigné de l’idée d’une provocation désormais immature, David Cronenberg revient avec Les Crimes du futur à ses fondamentaux, c’est-à-dire son exploration du corps humain sous toutes ses facettes y compris intérieure, la relation entre art et anarchie, l’alliance entre technologie et transhumanisme.

Dans une société dystopique où la nature paraît avoir presque disparu, Saul Tenser (Viggo Mortensen), célèbre artiste performer, met en scène avec la complicité de sa partenaire Caprice (Léa Seydoux), la métamorphose de ses organes dans des spectacles d’avant-garde. Ses performances sont surveillées par deux organes d’Etat, le Bureau du Registre National des Organes, la Nouvelle Brigade des Moeurs et surtout une étrange secte qui semble oeuvrer pour l’évolution du corps humain…

David Cronenberg revient avec Les Crimes du futur à ses fondamentaux, c’est-à-dire son exploration du corps humain sous toutes ses facettes y compris intérieure, la relation entre art et anarchie, l’alliance entre technologie et transhumanisme.

Un gamin de huit ans, Brecken Dotrice, mange une poubelle en plastique ; sa mère Djuna le tue en l’étouffant sous un oreiller et en le qualifiant de « chose », avant de confier son corps à son ex-mari Lang Dotrice qui souhaite le faire autopsier lors d’une performance artistique. Pas de doute, on se trouve bien dans le cerveau complexe et dépourvu de contraintes morales d’un certain David Cronenberg. Même si son nouvel opus n’a strictement aucun rapport avec le film éponyme des années 70 (hormis le développement de mystérieux organes suite à l’utilisation de produits cosmétiques), Les Crimes du futur peut être parfaitement identifié, telle une reconnaissance d’empreintes digitales, comme appartenant à la même lignée d’histoires que Videodrome ou eXistenZ, dont les scénarios ont été écrits par Cronenberg, sous l’inspiration du Festin nu de William Burroughs, Pêle-mêle, on y retrouve l’affirmation du corps mutant (« Longue vie à la Nouvelle chair, » » le slogan de Videodrome), la création d’un bestiaire, attirail ou mobilier assez visqueux, typiquement cronenberguien, la terreur de sociétés secrètes parallèles, le rapport ambivalent à la technologie, etc.

Les Crimes du futur est indéniablement une oeuvre de Cronenberg : en témoignent la performance « le corps est la réalité », le lit-orchidée organique ou le fauteuil servant au petit déjeuner, dignes de créations de Giger, les incisions et perforations de corps permettant de révéler l’étrange « beauté » des organes, la nécessité réaffirmée de l’invention d’une nouvelle sexualité (« la chirurgie est la nouvelle sexualité ») etc. Néanmoins, le film finit à force de formules programmatiques répétées, et d’absence à proprement parler de progression narrative et dramatique, par ressembler à un cours magistral sur l’art de Cronenberg. Comme le dit un des personnages, « c’est bourré de signifiant », tant les citations potentielles s’accumulent, de manière abstraite. Elle date en fait d’une période de plus de vingt ans, depuis l’écriture d’eXistenz.. Les acteurs ne sont pourtant pas en reste : Viggo Mortensen, avec sa dégaine entre la Mort du Septième sceau et les Chevaliers Jedi, et sa voix entrecoupée de toux sèches, Léa Seydoux toujours magnétique et Kristen Stewart, merveilleuse de présence tremblotante, au débit haché et électrique. Il n’en demeure pas moins que Les Crimes du futur reste pour l’essentiel une oeuvre conceptuelle, presque une sorte d’installation d’art contemporain, ayant toutefois son lot d’images graphiques inoubliables. où les personnages servent surtout de porte-paroles à l’auteur-metteur en scène, ce qui permet un résumé synthétique et fascinant de l’essentiel des réflexions de Cronenberg sur l’évolution de la société.

D’après Cronenberg, le corps représente à la fois le terrain d’une mutation physique et aussi un lieu d’expérimentation artistique (cf. le body-art d’Orléane ou de Marina Abrahamovic). Pour s’adapter au dérèglement climatique, le corps humain doit devenir capable d’ingérer des matières plastiques et synthétiques, comme le fait Breckens, l’enfant martyr. Le corps humain sera-t-il susceptible de suivre une telle évolution? Les Crimes du futur nous laisse pantelants devant cette nouvelle interrogation, mais finit par nous laisser cette réponse comme unique talisman : « et l’art triomphe encore ».

3.5

RÉALISATEUR :  David Cronenberg 
NATIONALITÉ : canadienne
AVEC : Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart.
GENRE : science-fiction, thriller, épouvante-drame, horreur 
DURÉE : 1h47 
DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport
SORTIE LE 25 mai 2024