Une nuit : avant l’aurore

Alex Lutz est vraiment un drôle de type. Singulier, imprévisible et attachant. Après s’être fait connaître via Catherine et Liliane sur Canal Plus, il a conquis la reconnaissance critique en obtenant le César du meilleur acteur, grâce à son deuxième film, Guy, une satire émouvante du sort des chanteurs vieillis et dépassés. Présenté en clôture d’Un Certain Regard, son troisième film, Une Nuit, est également un projet intrigant, entre une sorte d’émanation française de la trilogie Before de Richard Linklater et une variation sur In the mood for love de Wong Kar-wai. Utilisant les clichés pour mieux y échapper, Une Nuit est un film bien plus complexe qu’il n’y paraît, une deuxième lecture romantique se glissant subrepticement en bout de course sous une apparence de dialogue décomplexés captant l’air du temps.

Paris, métro bondé, un soir comme les autres. Une femme bouscule un homme, ils se disputent. Très vite le courant électrique se transforme… en désir brûlant. Les deux inconnus, Nathalie et Aymeric, sortent de la rame et font l’amour dans la cabine d’un photomaton.

Entre une sorte d’émanation française de la trilogie Before de Richard Linklater et une variation sur In the mood for love de Wong Kar-wai

Nathalie et Aymeric se rencontrent dans le métro et poussés par une attirance irrésistible, font l »amour dans un Photomaton. Cela pourrait s’arrêter là mais il n’y aurait pas de film. Ils décident de faire connaissance et ne se quittent plus de la nuit. C’est donc un peu l’inverse d’une rencontre classique où on commence par l’apprivoisement et on conclut par le sexe. Le film est d’une drôlerie redoutable dans ses dialogues lorsque Nathalie et Aymeric essaient de comprendre ce qui peut les attirer l’un vers l’autre, alors qu’ils ne sont pas forcément les « types » favoris de chacun. Ils finissent par s’incruster dans une fête de jeunes, une représentation de pièce de théâtre, un magasin dont Aymeric connaît l’entrée, une boîte échangiste… Les dialogues naviguant entre clichés et punchlines sont l’essence du film, maniés par des virtuoses du jeu qui parviennent en une intonation à basculer de la blague potache à l’émotion la plus sincère. Karin Viard y montre d’ailleurs une magnifique sensibilité.

Mais les clichés ne sont qu’un point de départ pour Alex Lutz. A l’évidence, il souhaite nous montrer autre chose et sans vouloir révéler le twist du film, Une Nuit est autant une comédie du remariage, un drame d’un prochain deuil qu’une comédie romantique de rencontre classique entre deux tourtereaux qui, en dépit de leur mariage et leur famille, n’ont pas encore trouvé l’âme soeur. Une profondeur tragique qui se révèle très progressivement et qui échappera à ceux qui auront quitté le film en cours de route, lassés par une superficialité qui n’est qu’apparente. L’exemple ultime de cette démarche d’Alex Lutz réside sans doute dans la scène de la boîte échangiste qui au départ s’annonce comme de la gaudriole, et se révèle être finalement un pas décisif vers le rapprochement du couple protagoniste.

Sans être révolutionnaire, ce qui n’est pas le but d’Alex Lutz, le traitement de cette histoire sentimentale est assez surprenant et bascule de discussions interminables sur la vie, l’amour et le monde à la manière de Before Sunset ou Sunrise à une réflexion sur le couple et sa durée, dans le style de In the mood for love, où des inconnus se révèlent être étrangement proches.

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RÉALISATEUR : Alex Lutz 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : comédie romantique, drame
AVEC : Karin Viard, Alex Lutz 
DURÉE : 1h30 
DISTRIBUTEUR : StudioCanal 
SORTIE LE 5 juillet 2023