Tel Aviv-Beyrouth : la douleur de l’exil comme fracture de l’identité nationale

Avant la guerre israélo-libanaise, une ligne de chemin de fer reliait les deux villes. Le titre du nouveau film de la réalisatrice Michale Boganim, Tel Aviv – Beyrouth renvoie au dénouement d’une relation impossible. Le destin de deux familles se situant de part et d’autre de la frontière séparant le Liban et Israël est dressé, évoquant les douleurs de l’exil et de la quête d’identité.

Le thème des blessures familiales irradie les écrans, entre Un petit frère réalisé par Léonor Serraille ou Aftersun de Charlotte Wells. Tel Aviv-Beyrouth ne s’inscrit donc pas en marge d’un courant thématique actuel. Michale Boganim dans Tel Aviv-Beyrouth, retrace sur deux décennies les existences de deux familles dont le destin est lié par l’impétueuse histoire attristante d’Israël et du Liban.

C’est en 1984, alors que la guerre du Liban fait rage, que Yossi, soldat de Tsahal dont l’épouse française est sur le point de donner la vie de l’autre côté de la frontière, rencontre Fouad, un chrétien libanais combattant aux côtés de l’armée d’occupation face à l’emprise du Hezbollah. Les deux hommes vont vaguement se lier d’amitié, sans que celle-ci ne puisse durer en raison du funeste conflit. Alors que son épouse a été tué et que l’armée israélienne déserte les lieux, Fouad est contraint de fuir son pays avec l’une de ses filles pour échapper à une condamnation à mort certaine de ses « frères libanais ». Il se réfugie alors en Israël et rentre désormais dans la catégorie des étrangers peu acceptés par la population locale. La jeune fille peut alors faire la connaissance de Myriam, livrée à elle-même en Israël après le départ au front de son mari.

C’est par le biais des portraits des familles de Fouad et de Yossi, entre 1984 et 2006, qu’elle peint le paysage d’une région où conflits et guerres se relaient à une fréquence d’une régularité digne d’un métronome bien réglé.

Comme elle l’avait fait dans La Terre outragée en 2012, ou plus récemment Mizrahim, les oubliés de la Terre promise en 2021, la réalisatrice évoque dans Tel Aviv-Beyrouth, les thèmes de la frontière, de l’exil et des identités nationales meurtries. C’est par le biais des portraits des familles de Fouad et de Yossi, entre 1984 et 2006, qu’elle peint le paysage d’une région où conflits et guerres se relaient à une fréquence d’une régularité digne d’un métronome bien réglé.

Pour la première fois sont représentés à l’écran les « harkis du Liban », combattants du Tsahal considérés comme des traîtres dans leur pays d’origine et comme des étrangers davantage que des citoyens en Israël. Les Tsahals ont donc un destin comparable aux harkis de la guerre d’Algérie, qualifiés de traîtres dans leur pays natal et méprisés sur leur terre d’accueil par les locaux qui, présumés faciliter leur insertion, semblent davantage enclins à chercher leur exclusion. Ce récit est donc très éclairant sur une réalité trop peu évoquée et encore moins représentée qui se distingue par sa souffrance  et on ne peut qu’honorer l’initiative de Michale Boganim en ce sens.

Le film reste une fiction et il est en cela très utopiste sur divers aspects. En effet, les Libanais et les Israéliens se comprennent en partie par leur souffrance. Une histoire d’amitié et de trahison fait œuvre de fiction au sein de ce film qui pourrait tendre vers le documentaire. Si le message que fait passer cette amitié est beau et humaniste, il est, comme nous l’avons mentionné, quelque peu utopiste, étant donné la réalité du terrain. Néanmoins le film n’innove en rien dans l’approche par un lien d’amitié d’un conflit fratricide et s’avère être un moyen assez peu risqué d’évoquer d’un conflit historique.

Si l’on accepte l’idée que le film décrit une sorte d’utopie dans laquelle les Libanais et les Israéliens se comprennent à demi-mot, se respectent et souffrent ensemble, alors cette histoire d’amitié et de trahison tient à peu près debout. La fabrication du film lui-même relève de l’utopie : des acteurs israéliens, libanais et palestiniens ont accepté de tourner ensemble à Chypre pendant le confinement et mélangent sans cesse les langues à l’écran, passant de l’hébreu à l’arabe, du français à l’anglais. Cependant, le sujet d’une amitié (ou d’un amour, cela fonctionne aussi) entre les deux partis d’un conflit fratricide n’a rien de nouveau dans le traitement cinématographique des guerres israélo-arabes. Plus encore, il semble qu’il s’agisse du seul angle possible pour poser prudemment un problème historique.

L’inconvénient de cette fiction est de donner un caractère anecdotique et romancé à la réalité des oubliés que la réalisatrice voulait pourtant mettre en lumière. Si ce film a une ambition qu’on ne peut méconnaître, il semblerait qu’il passe quelque peu à côté de celle-ci, incarnant alors toutes les fictions historiques qui, à force de vouloir rendre l’histoire attrayante pour la faire connaître au plus grand nombre, en dépeignent une fausse réalité.

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RÉALISATEUR :   Michale Boganim
NATIONALITÉ : Française, Israélienne
GENRE :  Drame
AVEC : Zalfa Seurat, Sarah Adler, Sofia Essaïdi 
DURÉE : 1h56
DISTRIBUTEUR : Moby Dick Films 
SORTIE LE 1er février 2023