M3GAN : entre épouvante et critique sociétale

Produit par Blumhouse et James Wan, via sa société Atomic Monster, M3GAN se situe dans la continuité de la franchise Annabelle, initiée en 2014 par John Leonetti. Vu l’indigeste qualité des trois volets consacrés à la poupée maléfique issue du Conjuringverse et l’insipidité manifeste de La Nonne, nous pouvions nourrir certaines craintes face à ce projet mettant en scène cette créature tueuse et robotisée. Pourtant, l’étonnement est de mise, car M3GAN produit un effet bien contraire. Effectivement, la satisfaction ressentie devant ce film semble due à une remarquable combinaison alliant qualités scénaristiques et réalisation efficace. James Wan, qui a renouvelé le cinéma d’horreur avec Conjuring : Les Dossiers Warren, Insidious ou Dead Silence retrouve sa bonne plume, quatre ans après l’avoir perdue avec le récit de la Nonne Valak. Assisté par Akela Cooper pour l’écriture, il produit un scenario intéressant, aidé par un Gerard Johnstone inspiré au niveau de la mise en scène. Le cinéaste néo-zélandais, dont c’est le second long-métrage, laisse entrevoir des compétences en matière d’épouvante, avec un film réunissant horreur et sujets sociétaux, une première pour une production Blumhouse. 

Gemma, roboticienne dans une grande entreprise, passe son temps à concevoir des produits destinés aux enfants. En fabriquant une poupée capable d’analyser et d’observer les comportements, la jeune femme ne se doute pas une seule seconde que son invention censée devenir révolutionnaire constitue un danger pour sa famille.

Sous ses attraits horrifiques, M3GAN est-il le reflet d’une société fragile et déstabilisée ? Oui, ainsi que d’un environnement malade où les relations interpersonnelles manquent sévèrement de liant.

En parlant de l’avènement d’une technologie futuriste et sophistiquée, M3GAN procède à une exploration tangible du monde humain régi par la puissance de l’intelligence artificielle. Ainsi, le film se détache explicitement de toute tentation horrifique à outrance, pour plutôt nous interroger sur l’utilité de ces robots voués à apaiser les pires souffrances. 

La question se pose en visionnant M3GAN, grande parabole sur notre société dominée par une innovation technologique grandissante, où la robotisation grignote du terrain chaque année. En plaçant son histoire au cœur d’une entreprise de fabrication de jouets, James Wan se lance dans une analyse des modes de consommation, sorte de commerce florissant où la créativité s’allie à la rentabilité. Le personnage de M3GAN, créé pour satisfaire le plus grand nombre d’enfants, sert ici de concept pour réconforter la petite Cady, dont les parents ont été tués dans un accident de voiture. Entre expérimentations et conceptualisation, cette machine inventée de toutes pièces par l’humain joue la fonction d’accompagnante, tel un pansement soignant les traumatismes. Ce que soulève ce film révèle un message inquiétant, celui d’un système où l’artificiel prime sur la vie réelle, où les compétences robotiques pallient le manque de dialogue et de communications diverses. Voici la problématique sociétale majeure que questionne ce film, avec une humanité tenant le rôle de faire-valoir face à ces créatures technologiques dont les possibilités sont infinies. Placée au premier plan, cette force intelligente sert de substitut. La relation qu’entretient Cady avec M3GAN se trouve d’abord définie par la confiance et la capacité dans la compréhension des émotions. Ainsi, ce rapport devient privilégié, la poupée endossant pratiquement la fonction de protectrice et de solution de substitution maternelle. Voici donc une différence notable par rapport à Chucky ou Annabelle. Dans ce film, nous avons dans un premier temps une poupée se souciant de cette pauvre Cady, quitte à tuer celui qui lui veut du mal. Cette représentation presque empathique, chose si rare dans le cinéma d’horreur, donne tout son piment à ce film qui laisse de l’importance aux émotions, au lieu de dériver directement vers une horreur outrancière, piège dans lequel tombent souvent les réalisateurs avides de procurer des sensations. 

Voici probablement le point commun qui réunit Gerard Johnstone et James Wan. En voyant Housebound, sorti en 2014, on peut se dire que les styles sont semblables, et que le choix du réalisateur s’imposait clairement, et ce, à juste titre. Sans doute influencé par son collègue américain, le néo-zélandais imprime sa patte, avec une mise en scène remplie d’inspiration, produisant quelques scènes d’une redoutable efficacité. N’aimant sûrement pas les effusions sanguinolentes, il préfère une progressive montée de tension, donne de l’épaisseur à ses personnages en explicitant leurs fonctionnements psychologiques durant la première heure. L’absence de toute velléité de violence procure de l’originalité à ce film, et un suspense qui s’installe durablement. En justifiant sa décision de prioriser l’émotif à l’action, Gérard Johnstone suit un schéma narratif ressemblant peu aux dernières productions de Blumhouse, à part Black Phone de Scott Derrickson.  Nous voici alors plus attirés par la nature des relations que par le côté épouvante qui se dégage notamment dans le dernier segment. Dans cette ultime partie, M3GAN se change en une grande menace, déterminée à en découdre avec ses concepteurs. Néanmoins, la fin réserve une interprétation spécifique, puisque cette volonté de vengeance vient conforter l’entière argumentation de ce film, à savoir la destruction d’une humanité rongée par l’incommunicabilité, et elle-même destructrice. Cela indique également que les technologies ne peuvent évidemment pas se substituer aux humains. Sous ses attraits horrifiques, M3GAN est-il le reflet d’une société fragile et déstabilisée ? Oui, ainsi que d’un environnement malade où les relations interpersonnelles manquent sévèrement de liant. Allison Williams interprète une conceptrice intéressée par son métier, mais dont les capacités sociales limitées donnent finalement du crédit à son invention robotisée. Quelle bonne surprise que ce film divertissant, proposant même une réflexion  passionnante ! 

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RÉALISATEUR :   Gerard Johnstone
NATIONALITÉ : Américaine
GENRE :  Epouvante
AVEC : Allison Williams, Violet Mac Graw
DURÉE : 2h
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France
SORTIE LE 28 décembre 2022