Les Eblouis : les ailes de la colombe

On avait remarqué la jolie silhouette mutine et l’air malicieux de Sarah Suco dans DiscountJoséphine s’arrondit ou encore Place publique d’Agnès Jaoui. Lorsqu’elle nous a appris qu’elle préparait son premier film, on imaginait donc sans trop d’imagination, à vrai dire, qu’elle réaliserait une comédie. L’annonce de Camille Cottin et de Jean-Pierre Darroussin au casting venait a priori confirmer cette première impression. Or les apparences sont trompeuses, comme va nous le montrer son film. Les Eblouis revisite sa biographie récente et nous invite à partager un embrigadement sectaire d’autant plus insoupçonnable qu’il ne se présente pas comme tel. Beau premier film, Les Eblouis confirme l’émergence d’un cinéma au féminin, précieux, sensible et remarquable, qui se développe en particulier chez les actrices qui souhaitent passer à la réalisation.  

Beau premier film, Les Eblouis confirme l’émergence d’un cinéma au féminin, précieux, sensible et remarquable, qui se développe en particulier chez les actrices qui souhaitent passer à la réalisation.

Sarah Suco nous fait partager le point de vue de Camille, une jeune fille de douze ans, aînée d’une fratrie de quatre enfants (deux frères et une sœur), qui nourrit une passion pour les activités du cirque. Elle suit une formation pour progresser dans ce domaine. Tout va donc bien jusqu’à ce que ses parents, Christine et Frédéric, entrent dans une communauté spirituelle, dite Communauté de la Colombe, menée par un prêtre surnommé le Berger par ses membres. Or le Berger décrète les activités du cirque incompatibles avec l’amour du Christ. Camille est donc obligée d’abandonner sa passion pour rester avec ses parents, ses frères et sa sœur…

Avec beaucoup de finesse et de justesse, Sarah Suco joue du contre-emploi assumé par Camille Cottin, Eric Caravaca et Jean-Pierre Darroussin qui s’exercent à démentir l’image sympathique qu’ils dégagent naturellement. Elle en joue car, en dépit du sectarisme et de l’aveuglement idéologique, les personnages de Christine et Frédéric demeurent assez sympathiques, cf. la scène où les parents dansent ensemble, toujours aussi amoureux l’un de l’autre. Les Eblouis n’est donc pas un film de révolte et de dénonciation, mais plutôt de témoignage et de constat sur ce que l’embrigadement fait faire de manière pernicieuse à des personnes soi-disant normales : cacher des habits noirs, laisser ses enfants à l’abandon, les perturber psychologiquement. Sarah Suco qui a vécu toute cette histoire, a su prendre de la distance et a tenu à ne pas peindre sa situation familiale complètement en noir, mais aussi à en montrer les aspects positifs qui rendent encore plus terribles par contraste les négatifs. Elle a ainsi collaboré avec Nicolas Silhol, auteur de l’excellent Corporate, pour nuancer le portrait et ne pas faire des Eblouis uniquement un portrait à charge de parents ridicules. Les parents de Camille sont donc à la fois intelligents, cultivés et surtout humains, en étant attirés par des vertus de charité et solidarité, tout en s’égarant malheureusement sur les sentiers du charlatanisme.

Si Sarah Suco parvient à éviter l’écueil du film-dossier, c’est, en plus de se situer au-delà du manichéisme, en réussissant de main de maître une éblouissante direction d’acteurs. On a ainsi rarement vu Camille Cottin dans ce type de rôle, ce qui lui permet pour la première fois de révéler un potentiel dramatique évident. Cependant, la grande révélation du film se nomme Céleste Brunnquell, dans le rôle de Camille, qui porte le film sur ses épaules solides. Jeune fille au regard buté, ne cherchant aucunement à faire du charme à la caméra, elle rappelle l’attitude de Jean-Pierre Léaud dans Les Quatre cent coups, farouche et déterminée. On devrait la revoir souvent, tout comme Sarah Suco, devant et derrière la caméra, qui réussit ici un beau coup d’essai qui n’est pas sans évoquer, dans l’épisode où Camille se retrouve toute seule à élever ses frères et sa sœur, Nobody knows d’un certain Hirokazu Kore-Eda, qui traitait également d’une famille en décomposition.    

3.5

RÉALISATEUR :   Sarah Suco 
NATIONALITÉ : française 
GENRE :  drame 
AVEC : Céleste Brunnquell, ,Camille Cottin, Eric Caravaca, Jean-Pierre Darroussin  
DURÉE : 1h39 
DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution 
SORTIE LE 20 novembre 2019