Les Chroniques de Sylvain : retour sur Barbie, le grand succès estival

Barbie est assurément l’énorme succès cinématographique de cet été 2023, récoltant plus d’un milliard de dollars au box-office mondial, devançant ainsi Oppenheimer de Christopher Nolan. Ce bénéfice faramineux récompense une œuvre qui a reçue moult critiques négatives, de la part de la presse et du public, fustigeant le film, le traitant de nanar et défonçant vertement et copieusement le sujet défendu par Greta Gerwig. Pourtant, Barbie est devenu un véritable phénomène planétaire, remplissant les salles du monde entier, redonnant de l’espoir aux exploitants, mais beaucoup ont considéré ce long-métrage comme étant un coup marketing de l’entreprise Mattel pour doper les ventes de son jouet culte. En dehors de l’aspect commercial, ils n’ont cependant pas saisi les enjeux de ce film, ni vu les nombreuses qualités contenues dans le travail de cette cinéaste reconnue pour Lady Bird. Devant ces vagues de critiques peu glorieuses, il est donc temps de défendre dans nos colonnes ce film non apprécié à sa juste valeur, sans doute incompris, qui mérite certainement une meilleure appréciation et non cette flopée de critiques assassines.

Dès l’annonce de la production du film et de sa sortie, le projet Barbie avait suscité la curiosité des cinéphiles et des simples amateurs de cinéma, interloqués par cette idée farfelue de donner vie à la poupée sur grand écran. Les interrogations se sont multipliées, sur l’histoire, le scénario, sur ce qu’allait nous proposer Mattel. Le choix de Greta Gerwig en surprit plus d’un, elle qui vient du cinéma d’auteur et qui n’était pas vouée à réaliser une production commerciale. Pourtant, la cinéaste étonne, surprend. Alors que l’on attendait un résultat très enfantin dans une ambiance décérébrée, Gerwig livre sa version de Barbie, adulte, artistiquement réussi, et surtout intellectuelle, argumentant sur le féminisme, l’idéalisation de la femme parfaite, les stéréotypes. Elle produit sa vision personnelle, en y apportant sa touche et en respectant minutieusement cet univers rose, coloré. Malgré ces intentions notables et les qualités esthétiques, certains commentaires ne furent pas tendres avec la jeune femme, jugeant son choix de se fourvoyer dans un film insipide, niais, un nanar éloquent. Chaque opinion a le droit de citer, néanmoins il est bien difficile de le ranger au niveau d’un Sharknado, Doc Savage, ou Les Maîtres de l’Univers, qui, eux, sont de véritables nanars. En connaissant les éléments qui en font de mauvais films sympathiques, l’utilisation de ce terme équivaut à mettre Greta Gerwig au plus bas de l’échelle cinématographique, à une place déshonorante ne reflétant pas toutes ses capacités qui, pourtant, sont bien visibles dans Barbie. Dès le début, nous voici plongés dans un lieu où les couleurs vives abondent, un monde de bonheur, avec des décors sans CGI qui, sans être un inconditionnel, rappellent la nostalgie des vieilles publicités. Impensable de dire que ce rendu artistique ne mérite pas de louanges ! En ajoutant à cela les nombreux et bons paramètres cinématographiques, l’exécution maitrisée, la bonne gestion du rythme, une multiplication de plans travaillés… nous sommes tout de même bien loin d’un film médiocre, d’une série Z digne de figurer sur Nanarland, n’en déplaise aux critiques qui se sont permis de descendre une œuvre non dénuée de fond et de placer Barbie dans les abysses honteux du cinéma. Ces jugements radicaux et tranchés ont mis en avant un mot virulent, utilisé à tort et à travers sans en connaitre la signification, et l’ensemble du film ne justifie absolument pas ces avis très directs. Peut-être ont-ils été influencés par des a priori… il n’empêche que le film doit être défendu pour souligner l’investissement total de Greta Gerwig qui a su remplir le cahier des charges de Mattel en y injectant une réflexion poussée et pertinente sur le patriarcat et le pouvoir masculin.

Selon certains journalistes, Barbie est un produit d’une abondante niaiserie. Les critiques du Masque et la Plume ont presque unanimement rejeté ce long-métrage, conspuant un message féministe de deuxième ordre assez pathétique. D’autres ont également démoli Gerwig en disant qu’elle n’avait rien compris. Heureusement, beaucoup ont été plus sensibles à cette morale que Pierre Murat juge détestable. Vraisemblablement, cette notion n’est pas comprise de tous, sa définition devant faire l’objet de multiples sensibilisations. Barbie est évidemment un film sur ce féminisme, le personnage de Margot Robbie symbolisant l’idée de la beauté parfaite, rentrant dans un monde réel où elle s’aperçoit de ses stéréotypes, face à un Ken représentant le patriarcat et voulant prendre le dessus sur son acolyte blonde. De la poupée désireuse de pouvoir aux dirigeants de Mattel, tout dénonce l’omniprésence des hommes dans le système social, avec des femmes réduites au second plan, enfermées dans la recherche de l’idéalisation de la femme parfaite et surtout dans cet état d’infériorité par rapport au sexe opposé, une injustice et une inégalité que le discours d’America Ferrera met au premier plan, mettant l’accent sur ce déséquilibre et la fragile position des femmes dans la société, faisant ainsi référence aux nombreuses controverses créées par la poupée. Oui, ce qu’elle dit paraît bateau, mais malheureusement véridique, dressant un des constats du monde actuel, alors que son personnage est une simple assistante auprès d’une élite dirigeante composée d’hommes, un discours prônant l’égalité que Gerwig explique aussi à la fin de son film. Pourtant, malgré ces exemples criants, il faut considérer cela comme un message mineur, un féminisme de base a l’heure où les dénonciations #metoo pleuvent, où les violences faites aux femmes explosent, où l’avortement est interdit dans certains États des États-Unis ! Si cela est de second ordre, quel est le premier ? C’est vraiment oublier cette cause que Barbie met en avant de manière assez frontale, avec une argumentation remettant en question les polémiques malencontreusement provoquées par Mattel et qui ont permis de creuser un peu plus le fossé. Aussi, et contrairement à ce que dit Xavier Leherpeur, le but n’est pas de réhabiliter la poupée, mais d’effacer ces fâcheux stéréotypes imposés par la marque. Le film évoque cela, de nombreuses fois, à travers Weird Barbie, les pieds plats, et l’existence du monde réel sert de prétexte pour critiquer les critères de beauté. Prétendre que l’œuvre n’aborde pas les effets dévastateurs de l’idéal féminin, c’est ne pas comprendre les furtifs et subliminaux messages que Gerwig diffuse en permanence, principalement lors de la scène introductive où les belles et longilignes jambes de Barbie apparaissent à côté de fillettes déjà prêtes à endosser le rôle de mère. De plus, connaitre l’histoire de la poupée, de sa conception jusqu’à maintenant, permet de mieux analyser les problématiques engendrées. Le film n’a pas forcément besoin d’appuyer sur cela, tant la culture populaire a longtemps associée Barbie au sexisme.

En regardant Barbie, nous constatons que la société fondatrice s’autocritique, caricaturant la direction, souhaitant répondre aux controverses et détruire cette image d’une poupée magnifique. Alors que bons nombres affirment que c’est un produit marketing, la limpidité du propos s’éloigne de toute volonté commerciale, tant Mattel va bien-au-delà de son concept, jusqu’à parler de ce modèle masculin dominant. Barbie devient un film où toute l’entreprise fait son mea culpa, s’excusant tout en extrapolant sur un sujet tristement actuel, veut moderniser sa production. Jamais le film n’a la prétention ni le désir de multiplier les ventes grâce à un thème véhiculant discriminations et autres souffrances, à part peut-être quand il s’agit de défoncer les stéréotypes et de créer une nouvelle poupée conforme aux standards de la société, sans artifices, plus humaine. Greta Gerwig décrit une marque qui souhaite se renouveler en admettant sa responsabilité dans le mal-être de centaines de petites filles qui ont tant voulu chercher la perfection physique avec un objet ayant libéré des jeunes filles à l’époque, tout en les condamnant néanmoins à de grands complexes et a un avenir proche de la ménagère plutôt que celle d’une femme épanouie.

Voilà pourquoi Barbie est un film adulte, avec une réflexion souvent non partagée et critiquée par un public qui n’a vraisemblablement pas compris sa portée sociale. Greta Gerwig réalise un film entre divertissement et intellectualisation, pas nécessairement à voir qu’entre filles, injustement comparé aux nanars et autres réalisations américaines balourdes. Son ambiance respecte le jouet, avec un climat adulescent, aux antipodes de la bêtise cinématographique, et surement pas niais quand on voit une réalisation s’inscrivant dans la mouvance féministe. Heureusement, le succès hallucinant prouve à quel point le film est aimé, rassurant ainsi Greta Gerwig, une cinéaste exemplaire ne méritant pas de tels commentaires virulents la descendant de piètre façon.