Vaurien : malaise dans la ville

Dans un train, une jeune femme raconte ses dernières péripéties au téléphone. Alors que les territoires défilent, un homme s’installe sur la banquette face à elle. Le visage encapuchonné, il la toise de son regard perçant et pose ses pieds sur le siège devant lui, obligeant la jeune femme à se soumettre à sa présence : la prédation commence. Premier long-métrage de Peter Dourountzis, Vaurien s’inscrit comme une variation autour de la figure du monstre. En déconstruisant les représentations, le cinéaste ramène le prédateur dans le champ de l’humain : sa présence n’en est pas moins inquiétante. Une œuvre de malaise, sombre et réaliste.

Fraichement libéré de prison, Djé (Pierre Deladonchamps), un homme d’une quarantaine d’années, arrive en ville par le train. Dans son parka à capuche, il rôde et s’immisce quand il le peut dans la vie des autres. Beau et ordinaire, il est conscient de sa normalité et de sa capacité à ne pas éveiller les soupçons sur sa véritable nature. Dans l’intimité, son instinct décide de vie ou de mort : ce n’est pas un monstre imaginaire, mais bien un individu, un membre de la société.

Fort de son expérience au SAMU social, le réalisateur et scénariste Peter Dourountzis dresse le portrait d’une France périphérique, celle des sans-abri, des travailleurs ultra-précaires, des marginaux et des plus démunis. Une couche sociale fragile, avec de fortes singularités. Si cette précarité est vécue par Djé, ce n’est pas un frein dans ses desseins : la société, dans son ensemble, est son terrain de jeu. Il n’appartient à aucun lieu, à aucun groupe, c’est un électron libre qui chasse et traque ses proies au gré des rencontres. Il agit à sa guise, avec un sentiment d’impunité. Le récit cultive le silence vis-à-vis de ce personnage, peu bavard et à la personnalité ambiguë. L’intérêt n’est pas tant de le comprendre, mais plutôt de rendre compte des conséquences de ses actes et du climat social dans lequel il s’épanouit. Dans Vaurien, la violence à l’encontre des femmes est ordinaire, banalisée. Elle peut être verbale, physique, mais aussi plus pernicieuse comme le montre une scène dans un bus : une jeune femme découvre dans un miroir le regard insistant de Djé sur son corps. En plus de la misogynie, le film aborde également la question des violences policières (avec une scène qui n’est pas sans rappeler l’affaire George Floyd) et du racisme dans notre société.

Contrairement à la caméra de Gaspar Noé, qui n’omet rien dans Irréversible, celle de Vaurien est quelque part un rempart pour le spectateur : comme dans la réalité, c’est en hors champ que l’horreur se produit. Bien que l’on accompagne Djé dans ses pulsions criminelles, il n’est jamais l’objet premier de notre attention. Le film s’attarde sur les victimes, sur ce moment où il existe toujours un doute vis-à-vis des intentions du prédateur. Alors qu’il pèse la situation, il y a face à lui de la peur, une impuissance, un malaise grandissant que le cinéaste parvient à rendre palpable. Si l’ensemble paraît un peu mécanique dans son déroulement, l’expérience reste forte et le message pertinent.

Le premier long-métrage de Peter Dourountzis est à rapprocher de Slalom de Charlène Favier dans sa lecture de la figure du monstre : on y retrouve la même envie d’inscrire le prédateur dans la normalité. Son vaurien, incarné avec intensité par Pierre Deladonchamps, fait apparaître une société où la misogynie est banalisée et l’insécurité une injustice du quotidien. Une chronique sociale amère et sans concessions, qui appelle à la responsabilité de chacun.

3.5

RÉALISATEUR : Peter Dourountzis
NATIONALITÉ : France
AVEC : Pierre Deladonchamps, Ophélie Bau
GENRE : Thriller, Drame
DURÉE : 1h35
DISTRIBUTEUR : Rezo Films
SORTIE LE 9 juin 2021
Retrouvez notre interview de Peter Donrountzis