Un couteau dans le coeur : à la vie, à l’amour

Cinq ans plus tôt, Les rencontres d’après minuit faisait grand bruit à Cannes : le festival découvrait le cinéma artificiel et troublant de Yann Gonzalez. Avec ce thriller haut en couleurs, hommage au giallo des années 70, le réalisateur iconoclaste signe un second long-métrage plus fantasque, plus assumé, plus abouti. Quelques mois après Les garçons sauvages de Bertrand Mandico, il creuse le sillon « d’un cinéma qui traverse les genres, les émotions, le temps » , pour citer le manifeste Flamme dont il est co-signataire.

Les seventies battent leur plein quand soudain, une ombre s’abat sur la joyeuse troupe d’acteurs d’Anne Parèze (Vanessa Paradis), productrice de films porno gays. Cette grande alcoolique et amoureuse éconduite se met aux trousses de celui qui tue ses employés, un à un, avec un raffinement cruel. Une chasse au monstre comme un long rêve éveillé, qui la mènera des salles obscures parisiennes à l’underground en passant par une forêt enchantée.

Comme un long poème horrifique, parsemé de moments de grâce

Le titre est prémonitoire, c’est un film qui frappe en plein coeur. Dès les premières scènes, la sensualité est mêlée d’effroi, la jouissance est empreinte d’une peur sourde. Outre un goût certain du réalisateur pour les paillettes et le kitsch, le choix de l’époque – l’aube des années 80 – n’est sûrement pas anodin. Gonzalez filme la fin d’un âge d’or fantasmé, une insouciance et une liberté sexuelle perdues à tout jamais. Sauf qu’ici, ce n’est pas le sida qui décime les jeunes acteurs X : il s’agit d’une créature masquée et silencieuse, au souffle court et à la poigne de fer. 

Tout comme ses personnages, le film ne se laisse jamais enfermer dans un genre ; c’est ce qui fait son charme. Jouant des codes du thriller et déjouant l’illusion du réalisme, il se déroule sous nos yeux comme un long poème horrifique, parsemé de moments de grâce : une longue séquence de danse hypnotique entre Kate Moran et son amante, les larmes déchirantes du monstre, ou encore l’échappée belle d’une Vanessa Paradis incandescente dans une campagne où la magie affleure à l’orée des bois. Composée par M83, la bande-son recouvre le tout d’un voile de mélancolie. Ça et là, des blagues potaches fusent au milieu de rires gras, comme si l’humour pouvait conjurer la mort inéluctable. Et l’on rit des traits d’esprit douteux d’un Nicolas Maury en assistant désabusé et lubrique, oubliant un instant la menace du tueur en série. 

En faisant apparaître les coutures de son cinéma, Gonzalez porte l’intensité des émotions un cran plus haut : les acteurs jouent légèrement faux, juste ce qu’il faut, et la pellicule argentique donne une texture délicieuse aux images colorées, presque psychédéliques par moments. Par une adroite mise en abîme, le réalisateur déclare sa flamme au septième art, dont il explore et essore les potentialités, tout en redorant le blason du porno, sous-catégorie injustement déconsidérée en raison de son objet obscène, alors qu’elle peut faire advenir des scènes subversives d’une grande beauté ou d’une certaine drôlerie. Une chose est sûre : nul autre medium n’aurait pu encapsuler cette histoire et ces personnages flamboyants. Le réalisateur fabrique ici une oeuvre à l’image de nos rêves et de notre inconscient : inquiétante, sublime, fuyante.

4.5

RÉALISATEUR : Yann Gonzalez
NATIONALITÉ :  française
GENRE : drame / thriller
AVEC : Vanessa Paradis, Kate Moran, Nicolas Maury
DURÉE : 102 min
DISTRIBUTEUR : Memento Distribution
SORTIE LE 27 juin 2018