Les Apparences : n’est pas Chabrol qui veut

Avec Les Apparences, Marc Fitoussi (CopacabanaDix pour cent) change courageusement de registre. De la comédie loufoque, il passe ainsi au thriller bourgeois et adultérin, évoquant pour certains Gone Girl de David Fincher, via le titre français du roman de Gillian Flynn, ou La Femme infidèle de Claude Chabrol. Or n’est pas David Fincher ou Claude Chabrol qui veut. Il ne suffit pas d’adapter une intrigue emberlificotée de deux adultères parallèles ; il faudrait posséder a minima une vision du monde et des relations humaines, un regard impressionnant sur la matière humaine, un sens de la mise en scène qui manque ici aux Apparences. Ne vous fiez donc pas aux Apparences, faux thriller chabrolien raté et peu mémorable.

Ne vous fiez donc pas aux Apparences, faux thriller chabrolien raté et peu mémorable.

A Vienne, Eve, travaillant à l’Institut français, et Henri, chef d’orchestre, parents du petit Malo, mènent une belle vie bourgeoise et privilégiée d’expatriés en vue dans la capitale autrichienne. Mais tout va soudain se fissurer lorsque Eve découvre en subtilisant le portable de son conjoint, l’adultère qu’il commet avec une jeune institutrice, Tina. Eve va alors tenter de piéger les deux amants alors qu’elle-même se trouve manipulée par Jonas, un jeune homme séduisant rencontré par hasard dans un bar de la ville… 

Librement adapté du polar suédois Trahie de Karin Alvtegen, Les Apparences simplifie largement ce roman puisqu’il était construit sur une alternance de points de vue, celui d’Eve et celui de Jonas se répondant dans une structure symétrique qui faisait monter la tension au fur et à mesure de la lecture. Marc Fitoussi a préféré privilégier le point de vue d’Eve, ce qui conduit le film à ressembler à la découverte tristement ordinaire d’un adultère banal, jusqu’à l’intervention de Jonas dans l’intrigue. Cette plate banalité n’est guère rehaussée par le casting du film : Karin Viard, comédienne que nous apprécions par ailleurs, par exemple dans les films des frères Larrieu, ou dans un registre plus dramatique dans Les Chatouilles, ou remarquable prochainement dans L’Origine du monde de Laurent Lafitte, manque du trouble, de la fragilité et du mystère nécessaires à ce que naisse une véritable empathie entre le personnage d’Eve et le spectateur. Il aurait sans doute fallu une Catherine Deneuve ou une Stéphane Audran moderne, voire une Emmanuelle Devos, pour donner toute sa dimension au personnage d’Eve. Quant à Benjamin Biolay, il ne sort pas de sa zone de confort en incarnant un personnage veule et pétri de certitudes, même si son retournement final dans la pénultième séquence justifie presque son choix.

On a souvent évoqué Chabrol en écrivant sur ce film. Or il ne suffit pas d’ajouter adultère + bourgeoisie + meurtre pour se retrouver avec un thriller chabrolien de la grande époque. Chabrol avait au moins deux caractéristiques que l’on retrouve quasiment dans tous ses films : une précision chirurgicale de la mise en scène et une vision de l’être humain, compassionnelle, pessimiste et malgré tout humaniste. Or que voit-on dans Les Apparences? Au lieu des petits mouvements de recadrage de Claude Chabrol, qui en faisait le virtuose du court panoramique, des champs-contrechamps filmés en gros plans ou plans rapprochés tristement télévisuels. Le film se contente d’être l’illustration d’un scénario, l’exécution dans tous les sens du terme d’un programme, illustration et exécution dénués d’inspiration et de vitalité. De plus, chez Chabrol, on pouvait sentir à chaque plan son intérêt pour la nature humaine, son imprévisibilité et son originalité. Dans Les Apparences, tout ou presque ressort du prévisible : une femme veut se venger d’un adultère ; un psychopathe veut exercer un chantage sur les femmes qu’il séduit. Il aurait fallu s’écarter du programme annoncé pour pouvoir effectivement réaliser un film chabrolien et surtout manifester une compassion et une empathie pour les personnages, sentiments dont Les Apparences, exhibant surtout sa mécanique scénaristique, est bien tristement dépourvu.  

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RÉALISATEUR : Marc Fitoussi
NATIONALITÉ : français
AVEC : Karin Viard, Benjamin Biolay, Lucas Englander, Laetitia Dosch
GENRE : Thriller
DURÉE : 1h50
DISTRIBUTEUR : SND
SORTIE LE 23 septembre 2020