Plumes : les plumes et le goudron

Parmi la sélection de premiers films retenus pour la soixantième Semaine de la Critique du Festival de Cannes, Plumes avait une place de choix. Dernier film présenté dans la sélection, le premier long-métrage d’Omar El Zohairy avait l’audace de proposer un concept surprenant, entre réalisme social et fable absurde. Cependant, les partis pris du réalisateur se retournent contre le film, et Plumes perd l’attrait que lui conférait son postulat original en s’égarant en longueurs et en mutisme.

Dans une famille pauvre d’une ville égyptienne, une mère dévouée de trois enfants s’attèle aux tâches ménagères, sous la dépendance de son mari. Menant une vie sans surprises, l’anniversaire de l’un des enfants devient pour la petite famille un événement exceptionnel, l’occasion d’une grande fête pour laquelle les parents ont engagé un prestidigitateur. Alors que celui-ci fait son numéro, il réclame l’assistance du père : rentrant dans une caisse, après un coup de baguette magique, celui-ci en ressort transformé en poule. Tandis que l’assistance applaudit, le spectacle tourne bientôt au cauchemar : car le magicien échoue à faire revenir le père à son état original… La naissance d’une situation impossible pour la mère de famille, qui se serait bien passée d’une catastrophe inconcevable.

« S‘appuyant sur un postulat original et un propos solidement construit, le réalisme absurde de Plumes tend cependant à avoir un effet contre-productif, tenant le spectateur à distance pour lui faire pleinement constater l’impossible réalité d’une famille dont le père est changé en poule. Un choix discursivement intéressant qui perd malheureusement le public en route, mais témoigne cependant de l’exigence honorable d’Omar El Zohairy, ainsi que la naissance d’un nouveau cinéaste égyptien à suivre. »

Si le concept du film pouvait laisser entendre que le récit était principalement fantastique, il n’en est rien. Au contraire, le réalisateur choisit une mise en scène ouvertement réaliste, avec des plans fixes neutres et des décors urbains ou domestiques collant à la réalité. Hypnotisé par le goudron des routes et le béton sali des murs, Plumes est donc plus réaliste que magique : dépouillé dans sa mise en scène, minimal dans sa bande-son, Omar El Zohairy confronte en permanence l’absurde de sa narration à la réalité brute de ses environnements et de ses personnages, une réalité de plus en plus écrasante et insupportable au fur et à mesure que la mère de famille se bat contre l’insensé dans un effort maintenir sa famille à flot. Fidèle à ses personnages et à son dispositif narratif, le réalisateur témoigne d’un réalisme d’autant plus violent qu’il manifeste en permanence l’inévitable réalité d’un absurde inconcevable, d’un cauchemar bien réel duquel il est impossible d’échapper – une réalité insensée qui devient progressivement un état de fait.

Cependant, si Plumes est remarquable dans son propos, l’exécution froide et distante tient le spectateur à bout de bras, choisissant d’empêcher une pleine adhésion au récit pour mettre en place une forme de distanciation nous invitant à toujours nous demander si l’absurde est bien réel. Ainsi, Plumes est une proposition de mise en scène discursivement audacieuse et intéressante, mais qui souffre de ses propres partis pris puisqu’elle débouche sur un travail souffrant de ses longueurs et de son mutisme. Si le personnage de la mère de famille luttant contre les éléments est touchant par ses tentatives désespérées pour prendre en main sa situation, les plans mettant en avant son silence et son regard perdu deviennent progressivement assez répétitifs. Tendant à l’impersonnel dans sa manière de filmer, la caméra neutre du réalisateur cherche une forme de réalisme trop obtuse pour être vraiment efficace, poussant en permanence le spectateur à la dissociation et au recul émotionnel. Mettant trop l’accent sur l’effet de réel, Plumes perd donc malheureusement son spectateur en route, malgré un postulat de base attrayant et une proposition discursivement intéressante qui échoue à pleinement capter la sympathie de son public.

S’appuyant sur un postulat original et un propos solidement construit, le réalisme absurde de Plumes tend cependant à avoir un effet contre-productif, tenant le spectateur à distance pour lui faire pleinement constater l’impossible réalité d’une famille dont le père est changé en poule. Un choix discursivement intéressant qui perd malheureusement le public en route, mais témoigne cependant de l’exigence honorable d’Omar El Zohairy, ainsi que la naissance d’un nouveau cinéaste égyptien à suivre.

3.5

RÉALISATEUR : Omar El Zohairy
NATIONALITÉ : Égyptienne
AVEC : Demyana Nassar, Samy Boussony, Fany Mida Fawzy
GENRE : Comédie dramatique, Fantastique, Absurde
DURÉE : 1h52
DISTRIBUTEUR : Dulac Distribution
SORTIE LE Prochainement