Eléonore : portrait d’une célibattante

Pendant longtemps, les femmes humoristes n’ont pas eu le droit d’être à la fois drôles et sexy. On pourrait évoquer sans aucune méchanceté Alice Sapritch, les dames du Splendid, etc. que nous aimons beaucoup. La mutation a sans doute eu lieu via Valérie Lemercier, précurseure en ce domaine, qui s’est métamorphosée en quelques années de vieille rombière bourgeoise en simili top-model, rajeunissant de jour en jour. Aujourd’hui, le phénomène des humoristes sexy passe comme une lettre à la Poste. Nora Hamzawi en est une preuve éclatante. On l’avait remarquée dans ses spectacles Seule en scène ainsi que dans le film Doubles vies d’Olivier Assayas, où elle révélait une véritable nature de comédienne. Il était inévitable qu’un jour un film entier tourne autour d’elle et de sa personnalité attachante. C’est chose faite aujourd’hui avec Eleonore, écrit et réalisé par son frère Amro Hamzawi, jolie comédie fragile et sensible, à l’image de son interprète principale.     

Nora Hamzawi méritait sans doute un écrin pour elle toute seule ; on peut peut-être regretter qu’elle ne l’ait pas confectionné elle-même, même si Eleonore représente un premier pas dans cette direction.

Sans travail stable, sans amour, se référant toujours à ses douze ans, Eleonore est une jolie trentenaire, apprentie romancière, qui, sous la pression de sa mère et de sa sœur, va accepter un travail d’assistante chez un éditeur de livres érotiques. Le destin va prendre ensuite pour elle des chemins imprévus…

En résumé, Eleonore est une adulescente, mais à la différence de Tanguy, elle n’habite plus chez ses parents (en l’occurrence une famille monoparentale composée de sa mère). En dépit de ce distinguo, elle a tout encore d’une adolescente, la silhouette, le look, le rêve du grand amour et de la révélation de son immense talent. Car elle croit pouvoir devenir une grande écrivaine, en tapant sur sa machine à écrire. Comme l’énonce son psy, « il ne faut pas espérer que le monde s’adapte à vous mais il faudrait plutôt que vous vous adaptiez au monde« , rappelant le personnage flou de Robin Williams dans Harry dans tous ses états de Woody Allen. A trente ans, elle a encore douze ans dans sa tête, comme l’indique une réplique du film: elle arrive en retard, ne sait pas ranger convenablement son appartement, croit à tout ce qu’on lui dit. Il lui reste à se confronter au monde réel, ce qu’elle va faire, en se faisant embaucher comme assistante chez un éditeur de livres érotiques.

L’originalité de Eleonore, c’est que le film contourne la problématique #metoo en déportant l’antagonisme de la toxicité, non sur l’éditeur qui aurait pu constituer un harceleur idéal, mais sur la famille, composée de la mère et de la sœur d’Eleonore, qui, sous prétexte de l’aider, l’enfoncent encore plus. Aux côtés de Nora Hamzawi qui fait des étincelles dans son rôle de jeune femme instable et fragile, ce sont donc Dominique Reymond et surtout la magnifique Julia Faure, irrésistible en sœur-peste, qui se taillent la part du lion dans ce long métrage. Le tandem des deux sœurs fournit à Eleonore ses moments comiques les plus jubilatoires. Le choix de Amro Hamzawi a sans doute consisté à éviter le cliché du supérieur hiérarchique qui assouvirait ses pulsions sexuelles sur son assistante, en préférant le métamorphoser en figure de père idéal (excellent André Marcon).

En-dehors de ce contexte familial, l’ensemble évoque une cousine française de l’Américaine Frances Ha, où Greta Gerwig interprétait pour Noah Baumbach le même type de jeune femme déboussolée dans un monde trop cruel pour elle. Eleonore distille en effet un charme similaire, même si, malheureusement, le film s’étiole un peu en cours de route, à défaut d’une construction scénaristique plus solide et d’une mise en scène davantage structurée dans l’étalage de sa fantaisie. Nora Hamzawi méritait sans doute un écrin pour elle toute seule ; on peut peut-être regretter qu’elle ne l’ait pas confectionné elle-même, même si Eleonore représente un réjouissant premier pas dans cette direction. 

2.5

RÉALISATEUR : Amro Hamzawi
NATIONALITÉ : français
AVEC : Nora Hamzawi, André Marcon, Julia Faure
GENRE : comédie
DURÉE : 1h25
DISTRIBUTEUR : ARP Sélection
SORTIE LE 23 septembre 2020