Close-up : la maïeutique du procès filmique

Tout part d’un fait divers réel. Hosein Sabzian, un jeune homme sans emploi, se fait passer pour un réalisateur iranien célèbre – Mohsen Makhmalbaf – auprès d’une famille bourgeoise – les Ahankah – jusqu’au point de leur proposer de participer à un tournage dont leur propriété serait le cadre. Il est à noter que dans le film la plupart des acteurs jouent leur propre rôle, démarche que renouvellera Kiarostami pour la magnifique trilogie de Koker (Où est la maison de mon ami? 1987, Et la vie continue 1991, Au travers des oliviers 1994). Film à la structure complexe qui tend à dérouter le spectateur dans le temps pour mieux établir l’unité de son propos tandis que l’émergence de la vérité qui en est le centre s’établit parallèlement à l’issue du procès au sein ou plutôt dirons-nous sous le voile de la fiction elle-même.

Le cinéaste choisit de faire alterner séquences documentaires et séquences de réalité fictionnée dont il faut distinguer deux sortes. D’une part, une série de flash-back retraçant le cheminement de Sabzian depuis son premier contact avec la famille Ahankah, en l’occurrence avec la mère au cours d’un trajet en bus ; d’autre part, les limites du récit cadre : le début où nous assistons au trajet en voiture du journaliste d’un quotidien local chargé de couvrir l’arrestation de Sabzian filmé intégralement en extérieur formant une boucle temporelle avec le même évènement filmé en flash-back (cf.supra) depuis l’intérieur de la propriété, mise en parallèle qui souligne sur le mode antithétique la dignité avec laquelle Sabzian se laisse interpeller par rapport à l’exultation et à la joie malsaine du journaliste s’apprêtant à réaliser ce qu’il appelle un “scoop” ; à ce début correspondant la dernière séquence du film, réconciliation finale en guise de “happy-end”.  Fiction et documentaire s’intercalent ainsi de façon à remettre en question la frontière qui habituellement les délimite. Les séquences de réalité fictionnée remettent en perspective les évènements, permettant par exemple de rendre compte du caractère spontané et non prémédité de la démarche de Sabzian – séquence du bus (cf. supra) – nourrissant ainsi le procès filmé en direct qui relève du genre documentaire. Hommage rendu à une certaine forme de cinéma qui contextualise et embrasse son sujet avec empathie.

Fiction et documentaire s’intercalent ainsi de façon à remettre en question la frontière qui habituellement les délimite.

En effet, Sabzian ne cesse de clamer son innocence au cours de l’audience devant le juge du tribunal, que ses actes ne sont empreints d’aucune malignité et sont uniquement motivés – en dehors de sa passion pour le cinéma – par son besoin de se sentir reconnu socialement. Son portrait est ainsi celui d’une société où les jeunes, même qualifiés professionnellement, peinent à trouver du travail, comme l’explique très bien le fils de la famille Ahankah, détenteur d’un diplôme d’ingénieur à la recherche d’un emploi. Sabzian explique de même que la somme d’argent qui lui est octroyée par ce dernier, alors qu’il le prend pour le véritable Mohsen Makhmalbaf, est la démonstration faite du respect que son prétendu statut de cinéaste lui permet d’obtenir grâce à ce stratagème. Le discours des personnages interviewés séparément ou rapporté par la fiction authentifie celui de Sabzian sur son propre cas et vient renforcer ses aveux. A son témoignage devant la cour font écho celui du fils Akhankah ou le dialogue entre la mère et le faux cinéaste n’ayant rien prémédité des évènements qui surviennent de manière impromptue. Sabzian se fait le symbole d’une jeunesse en souffrance, abandonnée et en quête d’elle-même, comme aussi du respect et de la dignité qui lui sont dus, face à un avenir incertain.

Gros plan au sens propre – le personnage est filmé en gros plan (close-up en anglais) tout le long du procès – comme au sens figuré, d’un homme humble – de condition comme de caractère – qui se débat du fond de son humanité pour apparaître aux yeux de la société. Construit avec une grande économie de moyens, sobre dans son propos mais avec un art consommé de la narration – c’est à un véritable dialogue entre le genre documentaire et la fiction auquel le spectateur assiste et qu’il reprend à son compte – Close-up, en tant qu’objet filmique, est la mise en abîme de cette apparition.

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RÉALISATEUR : Abbas Kiarostami
NATIONALITÉ : iranienne
AVEC : Hossain Sabzian, Mohsen Makhmalbaf, Abolfazl Ahankhah, Mehrdad Ahankhah, Hossain Farazmand, Haj Ali Reza Ahmadi
GENRE : Drame
DURÉE : 98'
DISTRIBUTEUR : Splendor Films
SORTIE LE 30/10/1991, reprise le 09/06/2021