Le Monde après nous : l’Apocalypse maintenant

Le film apocalyptique est devenu presque une spécialité pour Netflix. En effet, ces dernières années se sont achevées avec plus moins de réussite sur cette plateforme par Dont Look up d’Adam McKay ou White noise de Noah Baumbach. Cette année n’échappe pas à la règle avec Le Monde après nous de Sam Esmail, le créateur de deux séries marquantes de la dernière décennie, Mr Robot et Homecoming. Première production grand public des époux Michelle et Barack Obama, ce film était guetté avec curiosité. Entre Parasite, Knock the cabin et Funny Games, Le Monde après nous mixe habilement des craintes profondes et actuelles de l’humanité : le syndrome de l’effrondrement, le terrorisme des ennemis coalisés des Etats-Unis, un écologisme délaissé, le racisme subliminal, etc.

Amanda et Clay louent une maison dans un coin reculé du Long Island pour y passer des vacances paisibles avec leurs deux enfants. Un soir, les propriétaires, Ruth et G. H., reviennent en urgence, affirmant qu’une coupure électrique a paralysé les alentours. Sans téléphone, télévision, ni internet, les locataires plongent dans l’incertitude. Peuvent-ils vraiment faire confiance à leurs hôtes ?

Adapté d’un roman éponyme de 2020 de Rumaan Alam, Le Monde après nous semble donc être un condensé de toutes les craintes dystopiques qui pèsent actuellement sur notre monde contemporain. Depuis le confinement, la symbolique fonctionne à plein pour toutes les fictions catastrophistes : plus rien ne sera jamais comme avant ; la paranoïa règne partout ; le Mal peut venir de l’extérieur (des ennemis étrangers des Etats-Unis, la Corée, la Chine et l’Iran étant explicitement cités dans le film) tout comme de l’intérieur, la nature se rebellant contre les mauvais traitements qui lui sont infligés par l’homme (l’invasion de chevreuls). Divisé en cinq chapitres (La Maison, La Courbe, Le Bruit, L’Inondation, Ceux qui s’en sont allés), Le Monde après nous sait habilement ménager le suspense et faire monter la tension, avec comme principale influence M, Night Shyamalan, et quelques clins d’oeil à Spielberg ou J.J. Abrams (Les Dents de la mer ou Lost, pour le pétrolier échoué sur la plage) ou encore Alfred Hitchcock (La Mort aux trousses).

On a parfois reproché au Monde après nous de ne pas apporter de réponse définitive à la catastrophe qui semble s’être abattue sur les Etats-Unis. Tel n’est pas son but, mais il s’agit bien plutôt de refléter une atmosphère anxiogène qui est la nôtre, et de stigmatiser notre dépendance coupable envers la technologie. Contrairement aux autres films dystopiques, Le Monde après nous ne montre pas comment les protagonistes (plutôt des anti-héros, lâches, vaguement racistes, et misanthropes) vont essayer de s’en sortir et y réussir, mais la manière dont ils vont endurer la situation, en ne s’en sortant pas. C’est un film d’attente et d’impasse, ce qui est assez courageux dans le cinéma contemporain.

Après Homecoming, Sam Esmail prouve qu’il est peut-être le seul à vouloir réinventer Julia Roberts en tant qu’actrice. Elle se révèle brillante dans le registre passif-agressif, en étant volontairement raciste et odieuse (sa réplique choc « je n’en ai rien à faire des gens« ). Mahershala Ali, plus Obama que jamais, lui propose une réplique suave et diplomatique, tandis que Ethan Hawke brille dans la lâcheté bienveillante. Le film rend véritablement curieux de voir la première oeuvre de Sam Esmail, Comet, même si on connaissait déjà son goût pour les mouvements complexes d’appareil. En dépit de la gravité du sujet, le fil rouge du fil demeure l’amour de la fiction, cf. une citation littérale d’un passage d’A la Maison-Blanche d’Aaron Sorkin et surtout ironiquement de Friends, ce qui relève d’une certaine coincidence, étant donnée la présence de Julia Roberts au générique et la disparition récente de Matthew Perry. A la fin, la meilleure façon d’oublier la fin du monde, cela reste de regarder le dernier épisode de Friends, vision salutaire de la fiction salvatrice envers et contre tout.

3.5

RÉALISATEUR : Sam Esmail 
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : thriller, drame psychologique, film post-apocalyptique 
AVEC :  Julia Roberts, Mahershala Ali, Ethan Hawke, Myha'la, Kevin Bacon
DURÉE : 2h21 
DISTRIBUTEUR : Netflix 
SORTIE LE 8 décembre 2023