Après les scandales et les tumultes des deux années précédentes, les César se trouvaient manifestement en quête de réhabilitation. #MeToo, la réforme de l’organisation des César, la pandémie, sont passés par-là : la cérémonie devait effectuer sa mue. Avec son expérience antérieure de neuf cérémonies des César, Antoine De Caunes apparaissait comme l’homme de la situation, après une Florence Foresti peut-être trop partisane et une Marina Foïs sans doute trop décalée.
L’heure n’était plus aux sourires ou aux provocations inutiles. De Caunes l’annonçait d’emblée, l’heure était à la gravité : « Ce soir, nous pensons aux Ukrainiens. Soyons à la hauteur de la chance qu’ils n’ont pas ». l’Ukraine se trouvait en effet dans tous les esprits, ce qui rendait absolument dérisoire toute forme de polémique. Cate Blanchett, invitée spéciale de cette cérémonie, pour recevoir un César d’honneur immensément mérité, renchérissait : « difficile de penser à autre chose que l’Ukraine« . Néanmoins, comme chantait Freddie Mercury de Queen, the show must go on, il fallait continuer à distraire, comme le rappelait De Caunes : « On va rire, on va être émus, l’essence de notre métier c’est continuer quoi qu’il arrive, même si le monde s’effondre »,
De Caunes parvint donc à mener à bien la barque des César, avec sérieux, professionnalisme et gravité. On avait l’impression de revenir aux cérémonies d’avant 2020, ce que certains stigmatisèrent en déclarant que cette cérémonie générait à nouveau une forme d’ennui. Tout incident apparaissait isolé et dérisoire : Adam Driver, grand acteur hollywoodien, se déplaçant à Paris pour ne rien recevoir, en dépit des clins d’oeil appuyés de De Caunes, Lyna Khoudri et Anais Demoustier? Peu importe. Une accorte activiste de l’humour, Marie S’infiltre, intervenant sur la scène en montrant son séant, et faisant la promotion d’une culture du cul? Encore une provocation inutile qui apparaissait comme le lot obligé de gaudriole dans une cérémonie bien sage.
Place en fait à la compétition et surtout à l’émotion. Car les César 2022 ont renoué avec les moments d’émotion qui ont constitué sa renommée : on retiendra les larmes d’Audrey Diwan face à la déclaration d’Anamaria Vortolomei recevant son César du meilleur espoir féminin pour L’Evénement (unique récompense d’un film qui fut, en-dehors de cela, bien trop sous-estimé), les larmes de Cate Blanchett face à Isabelle Huppert qui lui a remis son César d’honneur, enfin et surtout toute la salle plongée dans un rare moment d’émotion lors de la lecture de la lettre de Xavier Dolan adressée à la mère de Gaspard Ulliel, pour rendre hommage à son ami disparu. L’émotion était alors palpable dans la salle, les larmes de Léa Seydoux et le visage torturé de Benoît Magimel ne trompaient pas.
En ce qui concerne les prix, la cérémonie des César revint à ses fondamentaux et ne prit pas de risques. Quelques années auparavant, des outsiders avaient su gagner le César du meilleur film, souvenons-nous de Timbuktu, Séraphine ou encore Fatima. Cette fois-ci, des films comme L’Evénement, en dépit de leur grande valeur intrinsèque, partaient de beaucoup trop loin, vu leur réception commerciale, pour pouvoir espérer mieux que des accessits. Cette année, deux favoris étaient désignés et remplirent donc leur office en remportant quasiment à eux deux toutes les récompenses : Illusions perdues en gagnant sept César (meilleur film, meilleure adaptation, meilleur second rôle masculin pour Vincent Lacoste, meilleur espoir masculin pour Benjamin Voisin, meilleure photographie, meilleurs costumes) sur quinze nominations (dont deux doublons dans les catégories des meilleurs seconds rôles) et Annette en remportant cinq César (meilleure réalisation, meilleure musique, meilleur montage, meilleur son, meilleurs effets spéciaux) sur onze nominations. Paradoxalement, les deux grands vainqueurs de la cérémonie, Xavier Giannoli et Leos Carax, ont brillé par leur absence. La cérémonie a vu Illusions perdues partir sur les chapeaux de roue et engranger les récompenses, jusqu’à ce que Annette finisse par grignoter progressivement son retard et revenir à sa hauteur. Le point de bascule fut sans doute l’attribution du César du meilleur scénario original, allant à Onoda, qui, s’il avait primé Annette, aurait peut-être changé le dénouement de la soirée. De son côté, Illusions perdues remportait le César de la meilleure adaptation sans la moindre difficulté, ce qui ne laissait que peu de doutes sur son triomphe final. Néanmoins la victoire finale de Illusions perdues répondait à une logique certaine, le film de Giannoli ayant eu trois à quatre fois plus de spectateurs dans les salles qu’Annette, et se montrant bien plus grand public et consensuel que l’oeuvre maîtresse de Leos Carax. MovieRama a apprécié les deux films, tous les deux excellents, chacun dans son genre, mais s’il n’en fallait choisir qu’un, Annette est sans le moindre doute un plus beau film, plus accompli, plus profond, car répondant à une plus forte vision de cinéma. Mais l’Académie des César a choisi pour son retour à la normale une vision plus mainstream et moins auteuriste et adorer le film de Carax ne signifie aucunement dans un raccourci critique réducteur et schématique, détester l’oeuvre de Giannoli.
Pour le reste, les autres films se contentèrent des miettes : L’Evénement qui pouvait espérer mieux au vu de sa qualité (meilleur espoir féminin), La Fracture (meilleur second rôle féminin pour Aissatou Diallo Sagna, une aide-soignante actrice non professionnelle, parfaite dans son rôle), Onoda (meilleur scénario original) et Aline (César de la meilleure actrice pour Valérie Lemercier qui réussit à dérider la salle au-delà de minuit, avec son projet de film sur Martine Aubry). C’était tout de même mieux que les zéros pointés attribués pour des raisons différentes à Titane, notre film préféré de l’année 2021, (quatre nominations pour zéro récompense), Bac Nord (écarté sans doute pour des raisons politiques et polémiques et ne pouvant guère prétendre à davantage que des nominations) et Les Olympiades (sanctionnant le film le plus décevant de Jacques Audiard). Pour revenir sur le cas Titane, les César ont boudé une nouvelle fois le cinéma de Julia Ducournau, sans doute trop extrême pour les membres de l’Académie ; en effet, Grave avait déjà collecté six nominations pour n’avoir à l’arrivée aucune récompense. L’Académie n’est pas encore prête pour le cinéma mutant de Ducournau.
A part cela, on s’interrogera encore sur la récompense chauvine accordée à The Father de Florian Zeller, ce dernier battant au passage Drive my car de Ryusuke Hamaguchi, First cow de Kelly Reichardt ou Madres paralelas de Pedro Almodóvar, cette récompense représentant assurément le prix le plus contestable de la soirée. En revanche, on se réjouira des prix attribués aux Magnétiques (meilleur premier film), La Panthère des neiges (meilleur documentaire) et Le Sommet des dieux (meilleur film d’animation). Globalement, pour Antoine de Caunes et ses pairs, mission accomplie : les César 2022 sont revenus à leur forme habituelle. A noter cependant que la 47e cérémonie des César retransmise en clair vendredi soir sur Canal+ a rassemblé 1,3 million de téléspectateurs (soit 8,5% de part de marché), un score encore plus faible que l’an passé (1,6 million de téléspectateurs et 9, 1 % de part de marché), selon des chiffres de Médiamétrie publiés samedi. C’est seulement le tiers du record d’audience engrangé par cette émission en 2012 qui s’établissait à 3,9 millions de téléspectateurs. Est-ce dû au contexte dramatique de l’invasion de l’Ukraine ou à un désintérêt provisoire (en raison de la pandémie de Covid-19) ou permanent envers le cinéma (en raison du développement des plateformes mises en accusation par Arthur Harari)? Avec le retour des beaux jours, en intégrant les acquis positifs des deux dernières années, espérons que l’édition suivante consolidera un retour à la normale.
César du meilleur film
« Aline » produit par Edouard Weil, Alice Girard, Sidonie Dumas, réalisé par Valérie Lemercier
« Annette » produit par Charles Gillibert, réalisé par Leos Carax
« Bac nord » produit par Hugo Sélignac, réalisé par Cédric Jimenez
« L’événement » produit par Edouard Weil, Alice Girard, réalisé par Audrey Diwan
« La Fracture » produit par Elisabeth Perez, réalisé par Catherine Corsini
« Illusions perdues » produit par Olivier Delbosc, Sidonie Dumas, réalisé par Xavier Giannoli
« Onoda, 10.000 nuits dans la jungle » produit par Nicolas Anthomé, Lionel Guedj, réalisé par Arthur Harari
Meilleure actrice
Leïla Bekhti dans « Les intranquilles »
Valeria Bruni Tedeschi dans « La fracture »
Laure Calamy dans « Une femme du monde »
Virginie Efira dans « Benedetta »
Vicky Krieps dans « Serre-moi fort »
Valérie Lemercier dans « Aline »
Léa Seydoux dans « France »
Meilleur acteur
Damien Bonnard dans « Les intranquilles »
Adam Driver dans « Annette »
Gilles Lellouche dans « Bac nord »
Vincent Macaigne dans « Médecin de nuit »
Benoît Magimel dans « De son vivant »
Pio Marmaï dans « La fracture »
Pierre Ninney dans « Boîte noire »
Meilleure actrice dans un second rôle
Jeanne Balibar dans « Illusions perdues »
Cécile de France dans « Illusions perdues »
Aissatou Diallo Sagna dans « La fracture »
Adèle Exarchopoulos dans « Mandibules »
Danielle Fichaud dans « Aline »
Meilleur acteur dans un second rôle
François Civil dans « Bac nord »
Xavier Dolan dans « Illusions perdues »
Vincent Lacoste dans « Illusions perdues »
Karim Leklou dans « Bac nord »
Sylvain Marcel dans « Aline »
Meilleur espoir féminin
Noée Abita dans « Slalom »
Salomé Dewaels dans « Illusions perdues »
Agathe Rousselle dans « Titane »
Anamaria Vartolomei dans « L’événement »
Lucie Zhang dans « Les olympiades »
Meilleur espoir masculin
Sandor Funtek dans « Suprêmes »
Sami Outalbali dans « Une histoire d’amour et de désir »
Thimothée Robart dans « Les magnétiques »
Makita Samba dans « Les olympiades »
Benjamin Voisin dans « Illusions perdues »
Meilleure réalisation
Valérie Lemercier pour « Aline »
Leos Carax pour « Annette »
Cédric Jimenez pour « Bac nord »
Audrey Diwan pour « L’Evènement »
Xavier Giannoli pour « Illusions perdues »
Arthur Harari pour « Onoda, 10 000 nuits dans la jungle »
Julia Ducournau pour « Titane »
Meilleur court-métrage d’animation
« Empty places » réalisé par Geoffroy De Crécy, produit par Nicolas Schmerkin
« Folie douce, folie dure » réalisé par Marine Laclotte, produit par Christian Pfohl
« Le Monde en soi » réalisé par Sandrine Stoïanov, Jean-Charles Finck, produit par Jérôme Barthélemy, Daniel Sauvage
« Précieux » réalisé par Paul Mas, produit par Marc Jousset, Perrine Capron
Meilleur court-métrage documentaire
« America » réalisé par Giacomo Abbruzzese, produit par Sébastien Hussenot, Marie Savare De Laitre
« Les Antilopes » réalisé par Maxime Martinot, produit par Quentin Brayer
« La Fin des rois » réalisé par Rémi Brachet, produit par Joséphine Mourlaque, Antoine Salomé
« Maalbeek » réalisé par Ismaël Joffroy Chandoutis, produit par Lionel Massol, Pauline Seigland, Jules Reinarts, Maxence Voisseux
Meilleur court-métrage de fiction
« L’Âge tendre » réalisé par Julien Gaspar-Oliveri, produit par Hélène Mithavile
« Le Départ » réalisé par Saïd Hamich Benlarbi, produit par Sophie Penson
« Des Gens bien » réalisé par Maxime Roy, produit par Alice Bloch
« Les Mauvais garçons » réalisé par Elie Girard, produit par Lionel Massol, Pauline Seigland
« Soldat noir » réalisé par Jimmy Laporal-Trésor, produit par Manuel Chiche, Violaine Barbaroux, Nicolas Blanc, Sarah Egry
Meilleur film d’animation
« Même les souris » vont au paradis réalisé par Denisa Grimmova, Jan Bubenicek, produit par Alexandre Charlet, Jonathan Hazan
« Le Sommet des dieux » réalisé par Patrick Imbert, produit par Jean-Charles Ostorero, Didier Brunner, Damien Brunner
« La Traversée » réalisé par Florence Mialhe, produit par Dora Benousilio, Luc Camilli
Meilleur film documentaire
« Animal » réalisé par Cyril Dion, produit par Guillaume Thouret, Céline Roux, Patrice Lorton, Jean-Marie Michel, Thomas Bénet, Cyril Dion, Patrick Fournier
« Bigger than us » réalisé par Flore Vasseur, produit par Denis Carot, Flore Vasseur
« Debout les femmes ! » réalisé par Gilles Perret, François Ruffin, produit par Thibault Lhonneur
« Indes galantes » réalisé par Philippe Béziat, produit par Philippe Martin, David Thion
« La Panthère des neiges » réalisé par Marie Amiguet, Vincent Munier, produit par Laurent Baujard, Pierre-Emmanuel Fleurantin, Vincent Munier
Meilleur premier film
« Gagarine » réalisé par Fanny Liatard, Jérémy Trouilh, produit par Julie Billy, Carole Scotta
« Les Magnétiques » réalisé par Vincent Maël Cardona, produit par Marc-Benoît Créancier, Tourifk Ayadi, Christophe Barral
« La Nuée » réalisé par Just Philippot, produit par Thierry Lounas, Manuel Chiche
« La Panthère des neiges » réalisé par Marie Amiguet, Vincent Munier, produit par Laurent Baujard, Pierre-Emmanuel Fleurantin, Vincent Munier
« Slalom » réalisé par Charlène Favier, produit par Edouard Mauriat, Anne-Cécile Berthomeau
Meilleur film étranger
« Compartiment n° 6 » réalisé par Juho Kuosmanen
« Drive my car » réalisé par Ryûsuke Hamaguchi
« First cow » réalisé par Kelly Reichardt
« Julie (en 12 chapitres) » réalisé par Joachim Trier
« La Loi de Téhéran » réalisé par Saeed Roustayi
« Madres paralelas » réalisé par Pedro Almodovar
« The Father » réalisé par Florian Zeller
Meilleur scénario original
Valérie Lemercier, Brigitte Buc pour « Aline »
Leos Carax, Ron Mael, Russell Mael pour « Annette »
Yann Gozlan, Simon Moutaïrou, Nicolas Bouvet-Levrard pour « Boite noire »
Catherine Corsini, Laurette Polmanss, Agnès Feuvre pour « La fracture »
Arthur Harari, Vincent Poymiro pour « Onoda, 10.000 nuits dans la jungle »
Meilleure adaptation
Yaël Langmann, Yvan Attal pour « Les choses humaines »
Audrey Diwan, Marcia Romano pour « L’événement »
Xavier Giannoli, Jacques Fieschi pour « Illusions perdues »
Céline Sciamma, Léa Mysius, Jacques Audiard pour « Les olympiades »
Mathieu Amalric pour « Serre moi fort »
Meilleure musique originale
Ron Mael, Russell Mael pour « Annette »
Guillaume Roussel pour « Bac nord »
Philippe Rombi pour « Boîte noire »
Rone pour « Les Olympiades »
Warren Ellis, Nick Cave pour « La panthère des neiges »
Meilleur son
Olivier Mauvezin, Arnaud Rolland, Édouard Morin, Daniel Sobrino pour « Aline »
Erwan Kerzanet, Katia Boutin, Maxence Dussère, Paul Heymans, Thomas Gauder pour « Annette »
Nicolas Provost, Nicolas Bouvet-Levrard, Marc Doisne pour « Boîte noire »
François Musy, Renaud Musy, Didier Lozahic pour « Illusions perdues »
Mathieu Descamps, Pierre Bariaud, Samuel Aïchoun pour « Les magnétiques »
Meilleure photographie
Caroline Champetier pour « Annette »
Christophe Beaucarne pour « Illusions perdues »
Paul Guilhaume pour « Les olympiades »
Tom Harari pour « Onoda, 10 00 nuits dans la jungle »
Ruben Impens pour « Titane »
Meilleur montage
Nelly Quettier pour « Annette »
Simon Jacquet pour « Bac Nord »
Valentin Fréron pour « Boîte noire »
Frédéric Baillehaiche pour « La fracture
Cyril Nakache pour « Illusions perdues »
Meilleurs costumes
Catherine Leterrier pour « Aline »
Pascaline Chavanne pour « Annette »
Madeline Fontaine pour « Délicieux »
Thierry Delettre pour « Eiffel »
Pierre-Jean Larroque pour « Illusions perdues »
Meilleurs décors
Emmanuelle Duplay pour « Aline »
Florian Sanson pour « Annette »
Bertrand Seitz pour « Délicieux »
Stéphane Taillason pour « Eiffel »
Riton Dupire-Clément pour « Illusions perdues »
Meilleurs effets visuels
Sébastien Rame pour « Aline »
Guillaume Pondard pour « Annette »
Olivier Cauwet pour « Eiffel »
Arnaud Fouquet, Julien Meesters pour « Illusions perdues »
Martial Vallanchon pour « Titane »