The Father : memento mori

Précédé de flatteuses rumeurs, The Father de Florian Zeller, adapté de la pièce éponyme, a été récompensé par les Bafta Awards et les Oscars exactement pour les mêmes catégories, meilleure adaptation et meilleur acteur pour le toujours sémillant Anthony Hopkins, trente après Le Silence des Agneaux. Pour cette pièce, Le Père, d’après son titre original en français, Florian Zeller a connu un succès international qui lui vaut d’être considéré comme « l’un des meilleurs dramaturges français » (L’Express), voire « l’auteur de théâtre le plus passionnant de notre époque » (Le Guardian). Jacques Rivette prétendait que le grand sujet du cinéma était en définitive le théâtre, ce qui ne signifie pas pour autant que toute pièce de théâtre constitue en soi du cinéma. Cette adaptation est sans doute un bon prétexte pour essayer d’évoquer les rapports entre théâtre et cinéma et d’évaluer si Florian Zeller a trouvé une forme cinématographique appropriée pour mettre en scène sa propre pièce au cinéma.

Octogénaire en apparence toujours vif, Anthony vit à Londres dans un appartement qui serait également celui de sa fille, Anne et de son mari. Peu à peu, il confond les identités et les personnes, souffrant d’une dégénérescence progressive du cerveau, s’acheminant vers un déclin inéluctable.

Alors que Le Père, en raison de sa teneur dramatique, devrait nous émouvoir existentiellement et apprendre des informations sur la maladie d’Alzheimer, il demeure une description exacte et clinique de faits que tout un chacun peut connaître ou pressentir.

Le sujet de The Father est bien évidemment poignant car, vous l’aurez tous deviné, il s’agit de la maladie d’Alzheimer. A partir de là, une fois qu’on aura prononcé le mot Alzheimer, tout le film va en découler : la confusion des identités, le temps fonctionnant en boucle, les souvenirs qui s’autoeffacent, etc. On devinera sans grande peine qui sont les personnes inconnues qui débarquent dans l’acte II (le film respecte scrupuleusement le découpage en actes de la pièce), bien avant qu’on ne les retrouve dans l’acte V. Idem pour le personnage de la soeur d’Anne dont il sera facile de pouvoir concevoir le destin. Alors que ce film, en raison de sa teneur dramatique, devrait nous émouvoir existentiellement et apprendre des informations sur la maladie d’Alzheimer, il demeure une description exacte et clinique de faits que tout un chacun peut connaître ou pressentir.

Certes l’interprétation dans The Father est sans nul doute de très grande classe, avec un Anthony Hopkins au sommet de son art, dans un rôle à l’opposé d’Hannibal Lecter. La manière dont Hopkins parvient à exprimer les moindres égarements de l’esprit de son personnage vaut à elle seule le détour. Ses revirements, ses rétractations, ses étonnements en font un spectacle dans le spectacle. Les autres acteurs de la distribution ne sont pas en reste, Olivia Colman, Olivia Williams, Imogen Poots en particulier. On peut exprimer plus de réserves sur le travail cinématographique de Florian Zeller. Disposant d’un sujet sociétal assez lourd, ce que Chabrol pouvait qualifier péjorativement de « grand sujet », Zeller lorgne d’évidence sur le travail de grands maîtres pour s’en inspirer. Néanmoins il ne possède ni l’âpreté d’un Bergman (Cris et chuchotements, Scènes de la vie conjugale), dans l’échange de dialogues à couteaux tirés, ni la maîtrise du huis clos d’un Wyler ou Polanski, ni encore moins la cruauté d’un Haneke dont Amour pourrait être la référence indépassable en termes de traitement de l’Alzheimer au cinéma. Zeller se contente d’illustrer assez platement la continuité dialoguée que représente sa pièce, en l’aérant de temps à autre par des interludes moyennement convaincants et relativement attendus (Anthony écoutant de l’opéra, Anne étouffant son père sous un oreiller, clin d’oeil évident à Amour, ou encore le souvenir de la seconde fille d’Anthony). Mais à aucun moment, le film lui-même en tant qu’expression d’un style cinématographique, ne prend véritablement son envol, contrairement à Providence d’Alain Resnais sur un sujet assez proche. Tel quel, The Father demeure un produit culturel de bonne facture, une première oeuvre techniquement réussie, un film à thématique sociologique estimable, mais l’on y recherche en vain le surgissement d’une idée cinématographique inattendue, l’essentiel reposant sur des artifices théâtraux. Quand Marguerite Duras faisait du cinéma, elle ne se contentait pas de reprendre le contenu de ses pièces mais y apportait des ingrédients inconnus. Idem pour Sacha Guitry. Le spectateur aura sans droit dans les années qui viennent aux adaptations de la suite de la trilogie théâtrale de Florian Zeller, Le Fils et La Mère ; on espère y déceler plus d’inventivité de cinéaste.

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RÉALISATEUR : Florian Zeller
NATIONALITÉ : français, britannique
AVEC : Anthony Hopkins, Olivia Colman, Rufus Sewell, Imogen Poots, Mark Gatiss, Olivia Williams
GENRE : Drame
DURÉE : 1h38
DISTRIBUTEUR : Orange Studio Distribution/UGC Distribution
SORTIE LE 26 mai 2021