Le Jeu de la reine : une reine face à son roi

Le roi anglais Henri VIII, possédant une bien triste réputation, réapparaît sur grand écran, sous les traits cette fois-ci de Jude Law, dans ce film dirigé par Karim Aïnouz, relatant la fin de vie du monarque et sa relation avec sa dernière épouse, Catherine Parr. Le cinéaste brésilien, lauréat du prix Un certain regard au Festival de Cannes 2019 avec La Vie invisible d’Eurydice Gusmão, revient sur les dernières années d’un règne, avec cette reine échappant au funeste destin que connurent Anne Boleyn et Catherine Howard, mortes exécutées. Intéressant, mais sans doute un peu juste pour remporter la Palme d’Or, Le Jeu de la reine a le mérite de revenir sur les ultimes moments du souverain anglais, même si le scénario assume de prendre trop de liberté par rapport à la vérité historique. De facture classique, l’œuvre se démarque par ses qualités techniques, et surtout par l’interprétation de Jude Law et d’Alicia Vikander, qui représentent tout l’attrait d’un film ne proposant rien de bien nouveau, en sachant que l’existence de ce roi fut déjà traitée dans d’autres films, ou séries.

Sixième femme du roi Henri VIII, Catherine Parr tente d’être dans une politique religieuse réformatrice, avec l’avènement du protestantisme. À ses risques et périls, elle va à l’encontre des règles dictées par son puissant époux.

Il n’existe plus de mystère, de zones d’ombre concernant la tourmentée et tumultueuse vie privée d’Henri VIII, tristement connu pour avoir décidé de la mort de certaines de ses femmes. Connaissant maintenant les nombreux détails d’une personnalité violente, notamment grâce à la série Les Tudors, Le Jeu de la reine apparaît comme étant une énième version de la vie sentimentale du roi anglais, qui ne possède plus d’inconnus tellement cette partie de sa biographie fut abordée maintes fois au cinéma. Toutefois, son originalité réside dans le personnage de cette reine ayant su défier courageusement l’autorité tyrannique.

Le Jeu de la reine décrit une relation très distante, fortement compréhensible, avec un roi obèse, souffrant, peu empathique, et qui, manifestement, semble peu doué pour les sentiments

Catherine Parr fut donc la dernière femme du souverain, succédant ainsi à Catherine Howard, dont le sort tragique reste encore gravé dans l’histoire, tant il représente la cruauté d’un monarque sans pitié. Cette mort brutale mit une grande pression sur les épaules de cette nouvelle reine, qui eut la lourde tâche de survivre auprès d’un homme repoussant au caractère détestable. Le Jeu de la reine décrit une relation très distante, fortement compréhensible, avec un roi obèse, souffrant, peu empathique, et qui, manifestement, semble peu doué pour les sentiments, ce qui justifie complètement sa réputation entachée par la complexité de ses unions. Effectivement, ce que l’on retient de sa période de pouvoir reste cette instabilité amoureuse, avec ces six femmes se succédant à ses côtés, dans la si précaire fonction de reine, mais également ces exécutions faisant de cet homme le plus détesté des souverains de l’Angleterre. Le film de Karim Aïnouz ne contribue certainement pas à redorer son blason, mais valorise cependant le courage extrême de Catherine Parr qui, malgré la peur, sut s’en sortir face un roi certes au plus mal physiquement, cependant encore capable de prendre une décision irréversible, a une époque où la religion protestante se propage dans le royaume. Pas formellement convertie au protestantisme, mais tout de même ouverte à la foi dite hérétique, Catherine Parr prit un énorme risque avec son penchant pour le luthéranisme. D’ailleurs, le long-métrage explore le schéma de défiance adopté par cette femme, décidée à laisser entrer cette croyance religieuse dans tout le territoire. Bien sûr, cette conviction exprime le combat d’une reine pour sa survie, et du suspens pour ceux connaissant les tristes destinées des précédentes épouses. En se focalisant uniquement sur ce dernier mariage, le scénario permet de valoriser l’esprit d’une personne cultivée, instruite, avec des volontés réformatrices, encourant volontairement un danger face à son mari évidemment hostile à la propagation des thèses protestantes. Le Jeu de la reine joue énormément sur cette opposition, avec un Henri VIII diminué, mais régnant encore par la peur et la brutalité.

À l’aide d’une forte ressemblance physique, d’un jeu reproduisant un tempérament imprévisible et volcanique, Jude Law se place avantageusement dans la position d’un prétendant au prix d’interprétation masculine

D’une beauté technique irréprochable, avec ses beaux costumes, ses reconstitutions soignées, les décors majestueux, Le Jeu de la reine possède toutefois une mise en scène académique, relevée par la présence d’un Jude Law méconnaissable, se glissant parfaitement dans la peau du roi anglais. À l’aide d’une forte ressemblance physique, d’un jeu reproduisant un tempérament imprévisible et volcanique, d’une gestuelle propre à la vision que nous possédons de ce monarque, l’acteur anglais se place avantageusement dans la position d’un prétendant au prix d’interprétation masculine, dans un rôle éminemment difficile, rappelant la brillante prestation de Charles Laughton dans La Vie privée d’Henry VIII, réalisé par Alexander Korda. Ce film sorti en 1933 reste une référence, beaucoup d’autres productions ont par la suite évoqué ce règne et ces mariages, si bien que Le Jeu de la reine n’apporte aucune autre information historique, se contentant d’être une resucée de ce que nous savons déjà. L’écriture adopte aussi un choix délibéré, celui de refaire l’histoire en proposant une fin inattendue, avec une liberté s’éloignant des véritables faits, mais qui toutefois convient au contenu même d’un film décrivant un duel entre une reine insoumise et un roi méprisable. De la poétesse hérétique Anne Askew à l’investigation de l’évêque Gardiner, Le Jeu de la reine développe fidèlement les événements conduisant la reine à une condamnation probable, dressant par la même occasion le portrait d’une Catherine Parr pleine de pugnacité et de ténacité, s’érigeant contre l’influence néfaste de son roi, et qui sut favorablement profiter de la déchéance physique due à une vilaine blessure infligée lors d’une joute. Avec cette plaie infectée, purulente, et occasionnant de vives douleurs, Le Jeu de la reine peint le tableau d’un souverain à la mort plus que souhaitable, une forme de vengeance pour ses actes odieux, un hommage à ces femmes sur qui il a imposé sa si terrible loi.

3

RÉALISATEUR :   Karim Aïnouz
NATIONALITÉ : Etats-Unis
GENRE :  Historique
AVEC : Jude Law, Alicia Vikander
DURÉE : 2H
DISTRIBUTEUR : ARP Sélection
SORTIE LE 27 mars 2024