Photo du film YANNICK de Quentin Dupieux Avec Blanche Gardin, Pio Marmaï, Raphael Quenard ©ATELIER DE PRODUCTION - CHI-FOU-MI PRODUCTIONS - QUENTIN DUPIEUX 2023

Yannick : la révolution du spectateur

 

Décidément Quentin Dupieux se trouve toujours où on ne l’attend pas. On l’espérait à Cannes avec Daaaaaali !, il revient avec Yannick, un film admirablement court, au temps où tout blockbuster ou film d’auteur atteint ou dépasse les deux heures et demie. Yannick, en effet, ne paie pas de mine avec son 1h07, à la limite du moyen métrage, ce qui ressemblerait presque à une provocation par les temps qui courent. En fin de compte, Yannick, projet souterrain, sort déjà en salle, en étant présenté au Festival de Locarno en compétition, tandis que Daaaaaali ! sera à Venise hors compétition. Depuis Au Poste, Quentin Dupieux, en joyeux excentrique du cinéma français, est revenu définitivement en France et a accéléré son rythme. Il a ainsi tourné plus de films (7 au total) lors de ces six dernières années que durant les treize premières années de sa carrière (6). Avec Yannick, il renoue avec la veine théâtrale de son inspiration, en citant plus ou moins Buñuel et Guitry, en l’assaisonnant d’une verve sociale inédite dans son cinéma, mais comme dans ses deux derniers films, au détour d’un plan, voire d’une séquence tout entière, une certaine tristesse, voire une mélancolie certaine, s’invite de manière inattendue dans ce qui ne pourrait être qu’un vaudeville.

En pleine représentation de la pièce « Le Cocu », un très mauvais boulevard, Yannick se lève et interrompt le spectacle pour reprendre la soirée en main…

Peut-être pour la première fois chez Dupieux, la révolte surréaliste qui anime d’habitude ses personnages se teinte de frustration et de revanche sociale.

Sans que cela soit le moins du monde péjoratif, Yannick ressemble par ses conditions logistiques et sa durée à un moyen métrage : unité de lieu, de temps, d’action. Après avoir subi une mauvaise représentation d’une pièce à laquelle ses acteurs ne croient même pas, un spectateur se lève et proteste contre ce spectacle dont la médiocrité l’afflige. On reconnaît dans cette mise en abyme le mécanisme cinématographico-théâtral de Toâ de Sacha Guitry, où une spectatrice interpelle l’auteur-acteur-metteur en scène en train de jouer sa pièce. Le mécanisme est le même, faisant donc de Dupieux, l’héritier via Buñuel (Le Charme discret de la bourgeoisie) et Bertrand Blier (Buffet froid, Notre histoire), de Sacha Guitry, c’est-à-dire de toute une tradition littéraire et fantaisiste française. Le ressort est identique car Yannick, comme Anna Ecaterina, quitte la salle puis y revient et menace les acteurs se trouvant sur scène, avec un revolver. Néanmoins, le motif est différent : Guitry montrait surtout une femme qui pensait être trompée, alors que Yannick n’est qu’un spectateur « ordinaire » qui voulait simplement un moment de divertissement réussi.

Par conséquent, peut-être pour la première fois chez Dupieux, la révolte surréaliste qui anime d’habitude ses personnages se teinte de frustration et de revanche sociale. Yannick, le gardien de parking, excédé par tant de médiocrité étalée sur scène, décide de prendre le pouvoir et d’écrire lui-même la pièce qui sera jouée sur scène le soir-même. On sent alors pour la première fois chez Dupieux que la révolte souvent sympathique et décalée n’est pas seulement originale et excentrée mais provient d’une profonde insatisfaction devant ce que le monde nous propose.

Certes, comme d’habitude, Dupieux a quelques difficultés à terminer son histoire mais il est davantage préservé par la brièveté de son film. Cette brièveté fera que l’on retiendra davantage de ce film que d’autres au long cours qui se traînent sur des durées rédhibitoires. D’une certaine manière, Yannick se distingue en étant le plus direct et le plus tranchant de tous ses films. Face à Blanche Gardin, Pio Marmaï et Sébastien Chassagne qui se régalent à jouer les acteurs médiocres et peu concernés dans une parodie de comédie de boulevard, Yannick consacre surtout le grand talent de Raphaël Quenard qui, par sa présence explosive et sa diction singulière, révélées par Les Mauvais garçons et Chien de la casse, possède le don de dynamiter toute situation. Il parvient même en quelques regards égarés à nous faire comprendre la détresse de ce personnage qui met tout son argent ainsi que son temps disponible à vouloir voir une pièce qui se révèle médiocre. Tout spectateur qui aura un jour été déçu par un spectacle (théâtre, cinéma, concert), donc tout le monde, se reconnaîtra en lui. Quenard parvient à lui donner chair et incarnation, en donnant toute crédibilité à ce personnage aux origines modestes qui décide de prendre pour une fois les commandes. Autant dire que Yannick, le film, en bénéficie grandement.

3.5

RÉALISATEUR : Quentin Dupieux 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : comédie 
AVEC : Raphaël Quenard, Blanche Gardin, Pio Marmaï et Sébastien Chassagne
DURÉE : 1h07 
DISTRIBUTEUR :  Diaphana Distribution 
SORTIE LE 2 août 2023