Ce qui est bien parfois au cinéma, c’est aller dans une salle, ne rien savoir de l’histoire, du metteur en scène, (presque) rien des acteurs et se retrouver face à un choc. Une voix, un ton, un style, peut-être pas nouveaux et inédits, mais frais et différents. C’est ce qui est arrivé lorsqu’on a découvert Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand. Montrer la ruralité de la France, sans la prendre de haut, c’est un défi intéressant de la part d’un cinéaste. Souvent la ruralité se résume à montrer les déboires et le déclin du monde agricole, alors qu’elle comprend la vie des villages. A rebours des clichés sur la France rurale, Jean-Baptiste Durand filme avec véracité et grand talent l’enracinement d’une amitié qui se délite et sera troublée par l’arrivée d’une jeune fille.
Dog et Mirales sont amis d’enfance. Ils vivent dans un petit village du sud de la France et passent la majeure partie de leurs journées à traîner dans les rues. Pour tuer le temps, Mirales a pris l’habitude de taquiner Dog plus que de raison. Leur amitié va être mise à mal par l’arrivée au village d’une jeune fille, Elsa, avec qui Dog va vivre une histoire d’amour. Rongé par la jalousie, Mirales va devoir se défaire de son passé pour pouvoir grandir, et trouver sa place.
A rebours des clichés sur la France rurale, Jean-Baptiste Durand filme avec véracité et grand talent l’enracinement d’une amitié qui se délite et sera troublée par l’arrivée d’une jeune fille.
Après cinq courts métrages, souvent primés, sortis depuis 2014, Jean-Baptiste Durand, formé à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier, s’est enfin lancé dans son premier long-métrage. Il y revient dans sa région de prédilection, le Sud-Ouest, et fait d’un village son territoire de cinéma, où il va développer les thèmes de l’amitié, de la ruralité et de la vulnérabilité masculine, Récompensé au Festival Premiers plans d’Angers par le Prix du Public, Chien de la casse est une véritable réussite, où tout sonne juste, Jean-Baptiste Durand ayant filmé à côté de son village natal et dépeignant sans caricature ni mépris surplombant la jeunesse de sa région, spécialiste en glandouillage et évitant de s’investir professionnellement, sentimentalement ou socialement, par peur de l’avenir.
On pense parfois au Pialat de Loulou ou de A nos amours, en plus drôle, ou au Ken Loach de Regards et sourires, par la tendresse et l’affection qui se dégagent du portrait de ces déclassés. Contrairement aux clichés rebattus, ces glandeurs ne sont pas incultes mais adorent lire, Mirales étant souvent vu plongé dans un bouquin. Cocasse et souvent hilarant, ce film est ainsi fait des petits riens de la vie, décrivant par petites touches un quotidien a priori morne que Jean-Baptiste Durand parvient pourtant à rendre passionnant par la finesse de son regard : un tandem d’amis mal assortis mais inséparables, un grand dégingandé et parlant à tort et à travers, un petit rablé introverti et silencieux, qui se connaissent depuis la sixième, un chien qui ne quitte pas Mirales, symbole de son innocence et son immaturité, des réunions en bande autour de la fontaine du village, une nature campagnarde proche, une résidence d’immeubles par laquelle les habitants du village sont obligés de passer et enfin une jeune fille cultivée et malicieuse qui a débarqué dans ce village pour des raisons financières. Jean-Baptiste Durand campe le décor de son histoire avec une économie absolument réjouissante de moyens et de style. Il maîtrise parfaitement son sujet et cela se sent à la moindre image, son sens graphique faisant merveille dans chaque plan d’ensemble.
Le naturalisme est ici dynamité régulièrement par l’humour ravageur en particulier d’un Raphaël Quenard déchaîné. Car Chien de la casse est aussi un grand film d’acteurs et de directeur d’acteurs. Jean-Baptiste Durand y a rassemblé un trio existentiel exemplaire : Anthony Bajon, peut-être le meilleur acteur de sa génération, depuis quatre ou cinq ans, toujours aussi impeccable, faisant perler l’émotion au coin de son oeil ; Galatéa Bellugi, mutine et irrésistible, illuminant par son charme malicieux le personnage d’Elsa ; mais Chien de la casse marque surtout le premier grand rôle dans un long métrage, de Raphaël Quenard, l’extraordinaire révélation du film, se situant entre Nicholson et Dewaere, ou Le Vigan et Léaud, génie de l’improvisation, citant Montaigne et utilisant un vocabulaire recherché avec des intonations traînantes inoubliables. Son bagoût inarrêtable et sa profondeur d’émotion arrivent à se réconcilier dans une interprétation marquante, celle d’un adulescent qui ressent de l’émotion devant l’art et la culture, et ne parvient pas à exprimer la beauté qu’il peut ressentir (ses discussions avec sa mère, peintre ou encore lorsqu’il écoute une dame âgée jouer brillamment du piano classique). Les cinéphiles connaisseurs l’auront déjà remarqué dans le rôle bouleversant du frère d’Adèle Exarchopoulos dans Je verrai toujours vos visages ou dans le personnage déjà logorrhéique des Mauvais garçons d’Elie Girard. Pour parvenir à maîtriser aussi bien un tel acteur, il faut être déjà un grand metteur en scène. Sans vouloir écraser Jean-Baptiste Durand sous un excès de références, on pense ainsi à d’autres metteurs en scène comparables, instinctifs et puissants, comme Alain Guiraudie (pour le régionalisme) et Bruno Dumont (pour le filmage de la vacuité de la jeunesse). Comme le montrent ces exemples, Jean-Baptiste Durand fait ici preuve d’un véritable tempérament de metteur en scène ; il va bientôt tourner fin 2023, en tant qu’acteur, dans le prochain film d’Alain Guiraudie, Miséricorde, avec Anthony Bajon, ce n’est sans doute pas un hasard mais le signe d’un cousinage ou d’une filiation incontestables.
RÉALISATEUR : Jean-Baptiste Durand NATIONALITÉ : française GENRE : comédie dramatique AVEC : Anthony Bajon, Raphaël Quenard, Galatéa Bellugi DURÉE : 1h33 DISTRIBUTEUR : Bac Films SORTIE LE 19 avril 2023