Semaine de la critique 2023 : analyse et décryptage de la sélection. Le cinéma au bout du chemin

Pour tous les festivaliers cannois, l’Espace Miramar, c’est le cinéma au bout de la Croisette. Pour y arriver, 20 à 25 minutes de marche sont nécessaires ; il faut dépasser le théâtre Debussy, le Grand Théâtre Lumière, le Majestic, le Martinez, le théâtre du Noga/Croisette (lieu principal des projections de la Quinzaine des Cinéastes), le Carlton et on arrive enfin au Miramar, où se déroule l’essentiel des projections de la Semaine de la Critique, Quand on y va, c’est souvent que les spectateurs n’ont pas obtenu de tickets ailleurs (surtout le cas du grand public) ou alors que les amateurs de cinéma cultivent un goût très pointu, très cinéphile, puisque la sélection de la Semaine de la Critique est, comme son nom l’indique, réalisée par des critiques de cinéma. On y croise un public assez mélangé et divers, entre les spectateurs cannois, très grand public, et le public plus élitiste des projections du Grand Théâtre Lumière. Comme cela représente un certain effort, en raison de la distance, souvent les gens restent dans les parages pour y voir d’autres films, ou n’y vont qu’une seule fois, en évitant la fin de journée, à moins de séjourner particulièrement dans ce secteur de la Croisette.

Le public a pourtant un peu tort car on y découvre parfois des pépites. Rappelons en effet que la Semaine de la Critique a ouvert sa première année avec Adieu Philippine de Jacques Rozier, qu’elle a accueilli les premiers pas de Leos Carax (Boys meets girl), François Ozon (Sitcom), Jacques Audiard (Regarde les hommes tomber), Alejandro Gonzales Innaritu (Amours chiennes), etc. Certes, cela fait maintenant quelques années que les César n’ont plus mis en vedette de films de la Semaine de la Critique, les derniers étant Grave de Julia Ducournau et Shéhérazade de Jean-Bernard Merlin. Depuis que Thierry Frémaux a reconfiguré Un Certain Regard en l’allégeant des films d’auteurs réputés qui sont allés rejoindre Cannes Premières, et en en faisant une section compétitive quasiment réservée aux premiers et deuxièmes films, soit donc partageant exactement le même domaine que celui de la Semaine de la Critique, Un Certain Regard a récupéré des films comme Les Pires ou Rodéo qu’on pensait a priori destinés à la Semaine.

L’année dernière, entre un Grand Prix (La Jauria, rebaptisé étrangement L’Eden) qui a eu du mal à marquer les esprits et une séance de clôture qui a divisé (About Sohee), la Semaine n’a pu se féliciter que de Aftersun de Charlotte Wells qui, sans être un succès fracassant, a pu compter sur la fidélité d’un public fervent, et dans une certaine mesure sur le modeste succès public de Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux. N’empêche, il faut toujours se montrer curieux et aventureux pour aller à l’Espace Miramar, faisant ainsi la preuve de deux belles qualités cinéphiliques.

Comme pour son 60ème anniversaire, la Semaine s’est donc recentrée au maximum sur des films français, en ouverture, en clôture et en séances spéciales : par ordre respectif, Ama Gloria de Marie Amachoukeli, La Fille de son père de Erwan Le Duc et Vincent doit mourir de Stéphan Castang. On se demandait où allait atterrir le film de Marie Amachoukeli, là dernière à se lancer en solo du trio magique qu’elle formait avec Claire Burger et Samuel Theis et qui a remporté la Caméra d’Or en 2014 avec Party Girl. Elle suit l’exemple de son collègue Samuel Theis (Petite nature) en présentant son film sur l’attachement profond d’une petite fille de 6 ans à sa nourrice, à la Semaine de la Critique. Idem pour Erwan Le Duc qu’on imaginait bien à la Quinzaine, vu que son premier film, Perdrix, y a été présenté. Mais il aura l’insigne honneur de clôturer la Semaine de la critique avec Nahuel Perez Biscayart (Au revoir là-haut) et Céleste Brunquell (Les Eblouis), pris dans une relation filiale décalée et poétique. Deux séances spéciales viendront ponctuer la programmation : Le Syndrome des amours passées, une comédie romantique loufoque, par le duo belge, Ann Sirot et Raphael Balboni, auteur du très remarqué Une Vie démente, et Vincent doit mourir de Stéphan Castang, un « survival » avec Karim Leklou et Vimala Pons. Comme on le voit, la Semaine joue au maximum la carte francophone, plus apte a priori de séduire les festivaliers cannois, pour les séances hors compétition.

En ce qui concerne la compétition, Audrey Diwan (L’Evénement) présidera le jury. On peut observer dans cette compétition six premiers films sur sept, ce qui est assez exceptionnel. Depuis le départ de How to have sex de Molly Manning Walker, un bébé de la Semaine, à Un Certain Regard, on pouvait espérer le second volet de la saga de Gu Xiaogang mais l’auteur de Séjour dans les monts Fuchun n’est peut-être pas prêt ou préfère tenter Venise. Signalons en passant le film français (encore une fois) de Iris Kaltenbäck, Le Ravissement, avec Hafsia Herzi (Tu mérites un amour), une habituée de cette section, Nina Meurisse et Alexis Manenti (Les Misérables, Dalva), ainsi qu’un intrigant huis clos, Sleep, signé Jason Yu, un assistant de Bong Joon-ho. Mais d’autres révélations peuvent figurer également dans cette sélection, des surprises potentielles qui nous inciteront peut-être à nous munir de courage et à aller jusqu’au bout de la Croisette, pour les découvrir.

La sélection de la 62ème Semaine de la Critique:

Film d’ouverture : Ama Gloria de Marie Amachoukeli (premier film)

Compétition

Il pleut dans la maison de Paloma Sermon-Daï

Inshallah Walad de Amjad Al Rasheed (premier film)

Jam de Jason Yu (premier film)

Le Ravissement de Iris Kaltenbäck (premier film)

Levante de Lillah Halla

Lost Country de Vladimir Perisic

Tiger Stripes de Amanda Nell Eu (premier film)

Séances spéciales

Vincent doit mourir de Stéphan Castang

Le Syndrome des Amours Passés de Ann Sirot & Raphaël Balboni

Film de clôture : La fille de son père de Erwan Le Duc