Megalopolis : la folie des grandeurs

C’était réputé être le grand événement du Festival de Cannes, Surmédiatisé et survendu, Megalopolis porte malheureusement bien son titre, celui d’un projet vieux de plus de quarante ans, que Coppola voulait entreprendre à l’orée des années 80. Francis Ford Coppola a longtemps rêvé ce scénario de transposition de l’Antiquité romaine à notre époque contemporaine. En soi, l’idée n’est pas forcément si mauvaise. Elle se perd néanmoins en gimmicks anecdotiques et scènes triviales indignes du grand réalisateur que Coppola a indéniablement été (les deux premiers Parrain, Conversation secrète, inspiré du Blow-up d’Antonioni ou encore Apocalypse Now et ses scènes légendaires sur la guerre du Vietnam). Coppola livre une dernière oeuvre assez indigeste, traversée néanmoins de quelques illuminations. La politique des auteurs, dans toutes ses exagérations de cultes de divinités humaines, trop humaines, en prend une nouvelle fois un sacré coup.

Megalopolis est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence. La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.

Contrairement à ce que Truffaut avançait, la plupart des grands cinéastes ne donnent pas leurs meilleurs travaux à un âge avancé. La vieillesse des cinéastes est parfois amère.

Comme cela a déjà été souligné, ce concept de transposition d’univers romain à notre époque contemporaine pouvait se révéler fort prometteur. New York est donc transformé en New Rome, l’onomastique romaine (César, Cicéron, Crassus) envahit les patronymes des personnages, « panem et circenses » demeure la devise de la population, les politiciens corrompus dominent la scène des médias, dans un climat de décadence et de superficialité généralisées. On sent chez Coppola la volonté de créer un univers complexe et multiple, à différentes entrées, un film-monde qui pourrait nous fasciner.

Malheureusement ce n’est pas le cas car Coppola adopte un ton pompeux, d’une gravité bien trop solennelle dans ses têtes de chapitre, et surtout manque d’une structuration minimale pour donner une cohérence suffisante à son univers. La principale intrigue, celle de l’opposition entre un architecte de génie (Adam Driver) et d’un maire réactionnaire (Giancarlo Esposito) -la fiancée de l’un étant la fille de l’autre – ne mène pas bien loin, sinon à un minable arrangement de circonstance, La métaphore de l’univers romain ne conduit pas non plus très loin, car elle s’éteint dans des redondances et des clichés assez peu signifiants (le personnage interprété par Shia LaBeouf s’inspirant assez grossièrement de Donald Trump). La description de conditions de tournage plus que chaotiques n’étonne pas véritablement, venant de Coppola, on se souvient de celles apocalyptiques d’Apocalypse Now mais c’était il y a quarante ans, et Coppola a su tirer de toute cette boue un peu d’or. Ce n’est pas le cas ici.

Pourtant Coppola n’a pas complètement perdu la main, ménageant quelques jolis moments abstraits lorsque César arrête le temps ou se fait tirer dessus à bout portant ou lorsqu’une démonstration interactive intervient de manière impromptue dans le cours du film. De même, certains plans sont parfois d’une beauté esthétique fulgurante. Le film se révèle d’ailleurs bien meilleur dans sa périphérie que dans sa ligne dramatique principale. Car la plupart des personnages sonnent faux dans leurs comportements et leurs répliques, et ne dépassent pas le stade du cliché, n’ayant pas plus d’épaisseur que du papier à cigarette. Megalopolis se révèle être le produit d’un ego surgonflé qui se prend manifestement pour Dieu le Père en personne. Cette impression générale ne fera tristement qu’empirer au fur et à mesure du film.

La politique des auteurs en prend ainsi à nouveau un sacré coup, ce que nous approfondirons par un point de vue critique postérieur, montrant qu’elle n’est plus guère opérationnelle. Pour tous ceux qui considéraient Coppola comme un Dieu vivant, ce qu’il n’était déjà manifestement plus depuis au moins trente ans, cette triste conclusion d’une oeuvre semble révéler que Coppola a beau avoir été le Parrain de toute une génération de cinéastes du Nouvel Hollywood, il n’en est pas depuis longtemps le plus brillant ni le plus constant. On réservera cet honneur à Scorsese ou Spielberg qui continuent à rester compétitifs dans le système hollywoodien. Contrairement à ce que Truffaut avançait, la plupart des grands cinéastes ne donnent pas leurs meilleurs travaux à un âge avancé. La vieillesse des cinéastes est parfois amère.

2.5

RÉALISATEUR : Francis Ford Coppola 
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : drame, science-fiction 
AVEC : Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf, Jon Voight, Jason Schwartzman, Talia Shire 
DURÉE : 2h18 
DISTRIBUTEUR : Le Pacte 
SORTIE LE