Piège pour Cendrillon : piège pour le spectateur

André Cayatte a longtemps été le bouc émissaire de la Nouvelle Vague, leurs critiques émérites ne pouvant supporter ses films didactiques à thèse, ses mélos-dossiers manichéens, peu soucieux de nuance. Aujourd’hui, certains essayent d’appliquer un certain révisionnisme sur son cas épineux, tout comme il est possible de tenter de sauver certains de ses collègues, comme Duvivier ou Clouzot. La ressortie sporadique en salles de l’étrange Piège pour Cendrillon qui ne ressemble pas aux Cayatte habituels pourrait donner l’occasion d’une remise en perspective de l’oeuvre du metteur en scène avocat. Alors faut-il réhabiliter André Cayatte, metteur en scène voué aux gémonies par les critiques incendiaires de François Truffaut?

Non car, contrairement à celles de Duvivier ou Clouzot, l’ensemble de l’oeuvre de Cayatte demeure extrêmement exsangue, sans vie et surtout terriblement prévisible. Il suffit de (re)voir Mourir d’aimer, immense succès à l’époque de sa sortie, pour s’apercevoir à quel point sa mise en scène est datée, compassée et a affreusement vieilli. Il en est de même dans Piège pour Cendrillon, où ce film contemporain de la Nouvelle Vague pâlit face aux oeuvres juvéniles et toujours extrêmement vivantes de Chabrol, Truffaut ou Godard. En effet, en regardant attentivement ce film, Cayatte demeure la plupart du temps extrêmement académique, ayant quelque mal à faire intervenir un souffle de vie dans son film qui reste figé à la manière de ses interprètes dans une mécanique scénaristique extrêmement contraignante. Seuls quelques plans sur un escalier vue en contre-plongée ou sur un miroir reflétant l’identité clivée de la protagoniste, évoquent Vertigo d’Hitchcock. L’emploi de certains acteurs (Jean Gaven, Hubert Noel) date le film, surtout par comparaison avec l’avalanche de naturel des films de la Nouvelle Vague avec ses jeunes premiers ravageurs (Brialy, Blain, Belmondo). On ne peut malheureusement s’empêcher de penser à ce qu’auraient pu faire avec un tel matériau scénaristique (une jeune amnésique en quête de son identité mène l’enquête sur un crime qu’elle aurait peut-être commis) Hitchcock déjà cité, Clouzot, Chabrol ou encore David Lynch. 

Truffaut a parfois été injuste à l’égard par exemple de John Ford, David Lean, Raoul Walsh, William Wyler, John Huston, dont l’oeuvre a largement survécu à ses descentes en flammes. En revanche, ses critiques visaient assez juste à l’égard du cinéma français de l’époque, en particulier, Autant-Lara et Cayatte, même s’il s’est un peu trompé sur Duvivier et Clouzot. Néanmoins Cayatte s’est malgré tout lancé dans un projet intéressant, montrant qu’il n’était pas dupe de sa réputation et qu’il essayait coûte que coûte d’y échapper. Piège pour Cendrillon demeure donc relativement intéressant pour deux raisons essentielles : 1) l’interprétation de Dany Carrel qui parvient à délimiter sans effort trois personnages différents (cette idée un peu folle et assez géniale de faire jouer Michèle et Dominique par la même actrice doit être mise au crédit de Cayatte et/ou de son coscénariste Jean Anouilh). Généreuse de sa personne (le film se distingue par un érotisme discret), accomplissant la performance de sa vie, Dany Carrel investit donc trois rôles différents, l’amnésique, Michèle et Dominique, où elle est méconnaissable à chaque fois, conférant une identité spécifique à chacune, face à une remarquable Madeleine Robinson. On pourrait également mettre au crédit de Cayatte (réputé bon technicien, à défaut d’être un grand cinéaste) ou plutôt à sa géniale scripte la gageure technique de tourner des scènes avec deux fois la même actrice, à l’époque où les effets spéciaux étaient loin d’être aussi élaborés qu’à l’ère numérique : la scripte Aurore Paquiss, future Mme Chabrol quinze ans plus tard, a dû bien s’amuser et son professionnalisme n’est jamais pris en défaut, les prises raccordant parfaitement entre elles. 2) Si Piège pour Cendrillon demeure un titre connu plus de cinquante ans après, c’est en fait surtout dû au roman de Sébastien Japrisot, chef-d’oeuvre du polar existentiel, préfigurant Memento de Christopher Nolan, entremêlant une vertigineuse quête d’identité et le caractère quasiment insoluble d’une intrigue policière machiavélique. Pourtant, si l’on vous rappelle que Piège pour Cendrillon, le film, a été renié sans remords par Sébastien Japrisot, l’auteur du roman, cet abandon manifeste indique que le film de Cayatte demeure un échec, qui devrait pouvoir engendrer de nouvelles adaptations par des cinéastes bien plus inspirés. Il est fort à craindre que la meilleure contribution de Cayatte au cinéma soit sa collaboration au scénario de Remorques de Jean Grémillon. Piège pour Cendrillon signifie malheureusement un piège pour le spectateur, un puits sans fond à éviter.