Le Plongeur: dans l’enfer du jeu

Présenté au Festival du Film Francophone d’Angoulême 2023, Le Plongeur, de Francis Leclerc, atteste une nouvelle fois de la vitalité du cinéma québécois, quelques mois après la sortie de Simple comme Sylvain de Monia Chokri. Alors que ce film parle d’une addiction dangereuse aux jeux d’argent, il est aussi construit d’une manière atypique et décalée qui fait instantanément passer du rire aux larmes, avec une forme typiquement québécoise. Erik K. Boulianne (On dirait la planète Mars) a écrit un scénario qui oscille entre le burlesque et la description d’une plongée en enfer caractérisée par des pratiques addictives et compulsives. On en ressort autant touché que surpris, tellement Francis Leclerc met du rythme et de la frénésie dans un sujet pourtant grave.

Stéphane souhaite exercer le métier d’illustrateur. Comme il s’adonne un peu trop aux jeux d’argent, ce projet est compromis. Il se retrouve dans un gouffre financier dont il doit s’extirper.

Le Plongeur est un titre qui exprime fort bien tout le décalage contenu dans cette œuvre. Il ne s’agit pas d’une immersion dans les cuisines d’un restaurant, mais bel et bien d’une incursion dans le parcours d’un personnage addict aux machines à sous, et autres jeux d’argent. Le cinéaste raconte ainsi le mécanisme de la déchéance financière.

Francis Leclerc met en place un récit, dans lequel un jeune étudiant se retrouve empêtré dans une série de galères inimaginables. Entre retards de loyers, dettes, prêts et un salaire englouti dans une addiction importante, Stéphane est enfermé dans un piège presque irréversible dont l’étau se resserre. Avec ce contexte économique alarmant, Le Plongeur aurait pu être soit un thriller, soit un drame sur les effets dévastateurs de cette dépendance. Effectivement, le film évoque un quotidien complexe, entre attirance incontrôlable pour le jeu et un travail de dur labeur qui ne sert qu’à sauver les apparences. Aussi, constate-t-on cet enfermement psychologique et ce schéma oppressant où ce jeune homme se trouve obligé de vivre une vie bien peu passionnante et de composer avec de nombreux problèmes. Alors que la gravité de ce thème impliquait un traitement assez puissant, Francis Leclerc opte pour l’originalité, mais reste à mi-chemin entre le drame et la comédie, tout en étant radical sur le message qu’il souhaite diffuser, celui que le jeu représente un enfer et peut entraîner de sérieuses conséquences. Le Plongeur séduit par son rythme qui nous emmène frénétiquement et habilement dans l’esprit d’un Stéphane piégé par l’attrait du billet, dans l’ombre d’un personnage vivant chichement, tout cela durant deux heures où l’on plonge dans une eau bouillonnante de misère et de débrouillardise.

Rire ou pleurer, telle est la question à laquelle le réalisateur veut répondre. L’écriture prend un malin plaisir à jouer sur les émotions, tout en gardant une morale dramatique.

C’est la réussite de ce film bien orchestré et mis en scène qui narre avec une forme de légèreté ce qui s’avère être une spirale fortement négative. À l’instar d’autres films québécois, celui-ci perpétue la tradition d’un cinéma souvent décalé, avec un style résolument particulier et authentique. Le scénariste Erik K.Boulianne produit une écriture de bon niveau, en caractérisant des protagonistes à fleur de peau, avec une belle pointe d’ironie qui vient adoucir la difficulté du sujet. Surtout, il décrit bien tout un système addictif et destructeur, un étudiant étonnamment stoïque face à d’innombrables déboires financiers et contraint de remettre sa vie en ordre pour effacer ses dettes. L’environnement professionnel est pourtant peu propice, entre un serveur louche et un cuisinier prêt à imploser nerveusement. Le scénario place ainsi Stéphane dans une ambiance loufoque, étrange alors qu’il doit absolument assurer sa survie mentale et financière. Cependant, le message du film est d’une limpide clarté. Il ne faut pas tomber dans l’enfer du jeu. Le développement de ce récit se transforme en une argumentation réaliste sur ce piège et ses mécanismes psychiques. Malgré des longueurs, Le Plongeur plonge dans un cercle vicieux qu’il relate plutôt bien, fait réfléchir sur les causes et les méfaits de l’addiction, et prend en compte l’importance des soutiens amicaux dans cette boucle négative. Finalement, ce film est plutôt rondement mené, sans toutefois atteindre des sommets. La première partie s’avère un peu laborieuse dans la construction de l’histoire, la seconde se montre heureusement plus convaincante et finit par rentrer dans le vif du sujet.

3.5

RÉALISATEUR : Francis Leclerc
NATIONALITÉ :  Canada
GENRE : Drame
AVEC : Henri Richer-Picard, Charles-Aubey Houde
DURÉE : 2h07
DISTRIBUTEUR : Wayna Pitch
SORTIE LE 3 janvier 2024