Mickey 17 : l’art de la résurrection

Après avoir tout gagné, juste avant le confinement, avec le succès mondial Parasite, entre autres Palme d’or cannoise à l’unanimité en 2019 et Oscar du meilleur film 2020, Bong Joon-ho revient. Beaucoup se seraient laissés impressionner par une telle avalanche de récompenses, mais pas le génial Sud-Coréen qui, après avoir doublé en leur royaume hollywoodien Scorsese ou Tarantino, a remis le turbo, comme si de rien n’était, finissant de tourner Mickey 17 entre août et décembre 2022. Depuis lors, le film, très attendu, a souffert de nombreux retards, provenant de la grève des scénaristes à Hollywood et d’une post-production extrêmement longue. Il devait initialement sortir le 29 mars 2024 avant d’être renvoyé en post-production et d’être enfin présenté hors compétition au Festival de Berlin le 15 février 2025. A la fois semblable et différent par rapport à ses autres films, à l’image des réplications successives de l’infortuné Mickey Barnes, Mickey 17, satire politique SF jubilatoire de notre monde, permet à Bong Joon-ho de renouveler son oeuvre, tout en la récapitulant.

En 2054, Mickey Barnes, chef pâtissier, voulant ouvrir une boutique de macarons, se retrouve obligé, en raison de dettes, de fuir dans une mission de colonisation de la planète Niflheim, sous la houlette du milliardaire, homme politique raté, Kenneth Marshall. Mickey y devient un Remplaçable, un homme à tout faire, corvéable à merci, qui peut mourir dans l’exercice de ses missions (exploration de la planète, lutte contre les Rampants, test de virus) et être répliqué automatiquement par une bio-imprimante 3D…

Mickey 17, satire politique SF jubilatoire de notre monde, permet à Bong Joon-ho de renouveler son oeuvre, tout en la récapitulant.

Comment survivre à Parasite? Comment se réinventer? Telles étaient sans doute les questions qui taraudaient au plus profond Bong Joon-ho. Tout simplement en faisant apparemment l’opposé de son chef-d’oeuvre cannois. La Science-fiction au lieu du social contemporain, une intrigue complexe, enchevêtrée, chaotique en lieu et place de la linéarité implacable et pure de la narration, une production américaine à gros budget avec des stars en substitution du film local du régional de l’étape. Mickey 17 est donc un film touffu, bordélique, débordant d’idées et volontairement imparfait. Dans l’oeuvre de Bong Joon-ho, par le ton sarcastique et désopilant de satire politique, le film se rapproche assez d’une sorte de Docteur Folamour SF.

A partir d’une scène originelle hivernale, clin d’oeil à Snowpiercer, extraite d’une mission déterminante de Mickey où il risque la mort, le film va alors mener un train d’enfer, mélangeant flash-backs à différents moments de la chronologie et retours impromptus au présent, le tout relié par une narration en voix off, placide et désabusée, de la 17ème incarnation de Mickey Barnes. Robert Pattinson, impeccable, traîne alors sa dégaine de (anti-)héros dépressif dans un monde qui lui est fondamentalement hostile. Pendant une bonne heure vingt, Mickey 17 nous présente un univers dystopique d’autant plus effrayant car il ressemble d’assez près au monde dans lequel nous vivons : des travailleurs exploités et corvéables à merci, un leader populiste proto-fasciste qui voudrait coloniser une planète plus ou moins proche (suivez mon regard), un virus mortel dont va succomber l’une des itérations de Mickey, etc.

En adaptant assez librement le roman d’Edward Ashton, Mickey 7, Bong Joon-ho a particulièrement soigné la crédibilité de cet univers, avec sa bio-imprimante 3D, inspirée de celles qui existent déjà à échelle plus réduite, son recycleur de déchets humains qui permet de donner naissance à des personnes répliquées, une fois les Remplaçables tués dans leur mission, ainsi que ce vaisseau spatial fonctionnel et rudimentaire en route vers la planète Niflheim. Mickey 17 s’inscrit dans les superproductions internationales de Bong Joon-ho (Snowpiercer, Okja) qui représente le deuxième visage de son oeuvre, aspect qui prend de plus en plus d’importance, vu la reconnaissance mondiale du cinéaste. Mine de rien, il a su et pu recycler dans Mickey 17 ses principales thématiques : la lutte des classes (thème récurrent depuis Snowpiercer et Parasite), l’antispécisme (Okja, The Host), via la création des Rampants, habitants de la planète Niflheim, sorte de croisement entre des vers et des mille-pattes, (prétexte à des séquences à effets spéciaux assez spectaculaires), enfin le combat de l’individu contre le système (Snowpiercer encore).

Même si le film s’avère plus inégal dans sa seconde partie, en empruntant des chemins plus balisés, il s’ouvre de manière inédite à une dimension romantique et sensuelle pour l’instant inconnue dans le cinéma de Bong Joon-ho. L’amour fait son apparition via un « trouple » formé de Nasha (Naomi Ackie), Mickey 17 et Mickey 18, trio auquel aimerait bien s’adjoindre Kai (Anamaria Vartolomei, découverte par Bong dans L’Evénement, lorsqu’il était Président du jury de la Mostra de Venise). Pourtant la question récurrente, qui fait presque office de « running gag » est « ça fait quoi de mourir? » posée aux différentes incarnations successives de Mickey. Mais cette interrogation, loin d’être mortifère ou funèbre, est bien plutôt un élan de vie, un questionnement vers une résurrection possible. Derrière « ça fait quoi de mourir? », il faut plutôt entendre « comment ressusciter? ». En l’occurrence, en réalisant Mickey 17, Bong a échappé à la mort artistique qui pouvait le guetter ; il a su rebondir, se réinventer et échapper au traumatisme potentiel du succès monstrueux de Parasite.

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RÉALISATEUR : Bong Joon-ho
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : Science-fiction, satire politique, action, comédie  
AVEC : Robert Pattinson, Naomi Ackie, Steven Yeun, Anamaria Vartolomei, Mark Ruffalo, Toni Collette
DURÉE : 2h19 
DISTRIBUTEUR : Warner Bros Pictures 
SORTIE LE 5 mars 2025