Récompensé lors de la dernière édition du Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier, Nuit Noire en Anatolie confirme les louanges déjà reçues et s’installe sur les plus hauts sommets du cinéma turc. Özcan Alper filme cette région anatolienne, si chère à Nuri Bilge Ceylan, et en fait le décor central d’un récit où cette belle nature se change en un endroit empoisonné par l’odeur de la mort. Brillant et magistral!
Ishak, joueur de luth, veut affronter les angoisses du passé et veut à tout prix savoir la vérité sur un horrible homicide.
Cette quête montagnarde qui expose le visage de la Turquie actuelle est une splendide exploration de cette Anatolie dont les moindres recoins sont remplis d’une ambiance mortifère. Özcan Alper met en scène un homme obsédé par la recherche d’un corps, dans un environnement escarpé.
La noirceur des nuits anatoliennes traduit complètement le terrible climat qui règne sur ce paysage qui garde enfoui le squelette d’un garde-forestier victime d’autochtones sauvages. À la surface, Ishak, un modeste musicien, se lance dans une recherche effrénée pour retrouver la dépouille d’une personne avec qui il a noué une amitié. Avec ces explorations qui nous plongent dans une dense végétation et dans les entrailles de la terre, Nuit Noire en Anatolie est immensément beau. La tristesse se devine à chaque plan, et cette marche solitaire vers la découverte de la vérité se transforme en champ macabre, au fur et à mesure que Ishak observe scrupuleusement cette région qui détient en elle le poids du meurtre. Dans une ambiance à la As Bestas, où la sauvagerie et la bestialité des habitants l’emportent sur l’humanité, ce film riche et profondément émouvant est un voyage passionnant et douloureux vers l’indicible, où un homme envahi par le regret décide d’arpenter cet immense environnement naturel. Özcan Alper filme les pas décidés et le regard observateur d’un être qui cherche à déterrer un passé tragique. Le spectateur suit son tortueux sillage. Le cinéaste turc place constamment sa caméra au plus près de son personnage, pour le rendre encore plus vivant et insuffler une profonde émotion. Nuit Noire en Anatolie est magistral dans sa manière de retranscrire cette aventure dramatique.
Özcan Alper signe un des premiers chocs cinématographiques de cette année 2024, et devient l’un des fers de lance du cinéma turc, déjà bien revigoré par Nuri Bilge Ceylan. Dans ce film, il fait parler son sens de la mise en scène, tout en décrivant le côté lugubre de la société turque.
L’Anatolie est sublime, mais se situe dans un territoire rongé par l’un des pires fléaux, l’homophobie. L’œuvre décrit cette morosité ambiante, ce contexte fragile, et est sans doute un miroir de la Turquie contemporaine. Tout le récit explique cette situation désastreuse, cette loi du plus fort, puis raconte aussi une forme de violence latente qui domine dans cette contrée, avec des locaux animés par la soif de la chasse ou aveuglés par leur propre haine. Le personnage d’Ishak se trouve à l’opposé de ces mentalités haineuses. À travers celui-ci, le réalisateur exprime plusieurs choses, l’amour, la liberté, la fraternité… une façon de fabriquer une bulle de fraîcheur et de tendresse dans un pays relativement hostile, fermé, une Anatolie sèche et aride qui se prête si bien à ce triste spectacle. Magnifiquement réalisé, Nuit Noire en Anatolie confirme le talent d’Özcan Alper pour la mise en scène, lui qui magnifie ce bel écrin verdoyant qui devient quasiment un personnage principal et dans lequel se cristallisent les vicissitudes de l’âme humaine, comme s’il contenait toutes les dérives de la Turquie. Ce n’est pas uniquement l’histoire entre deux hommes qui est narrée ici, mais celle d’un pays tout entier. Le cinéma de ce territoire transcontinental évoque d’ailleurs de plus en plus certaines réalités. Nuit Noire en Anatolie le confirme.
RÉALISATEUR : Özcan Alper NATIONALITÉ : Turquie GENRE : Drame AVEC : Berkay Ateş, Taner Birsel, Sibel Kekilli DURÉE : 1h54 DISTRIBUTEUR : Outplay Films SORTIE LE 14 février 2024