Titanic : la fin d’un monde, la fin d’un certain cinéma

En attendant la sortie d’Avatar : la voie de l’eau, James Cameron avait déjà ressorti quelques mois auparavant Avatar, non seulement pour remémorer les événements du film précédent aux spectateurs mais aussi pour remettre ce film aux standards de son nouveau film, c’est-à-dire l’utilisation du High Frame Rate, qui permet la projection d’un nombre supérieur d’images par seconde et par conséquent une plus grande fluidité et un rendu hyperréaliste jamais vu jusqu’à présent. Cette invention a surtout été utilisée par Ang Lee dans Un jour dans la vie de Billy Lynn et Gemini Man mais on devra sans doute à James Cameron sa popularisation et peut-être (sans doute?) sa généralisation dans le cinéma à venir. Cette fois, quelques mois après la sortie d’Avatar : la voie de l’eau, c’est au tour de Titanic qui fait figure de classique absolu de James Cameron, d’être passé à la moulinette du High Frame Rate.

Southampton, 10 avril 1912. Le paquebot le plus grand et le plus moderne du monde, réputé pour son insubmersibilité, le « Titanic », appareille pour son premier voyage. Quatre jours plus tard, il heurte un iceberg. A son bord, un artiste pauvre, Jack Dawson et une grande bourgeoise déjà fiancée sans amour, Rose De Witt Bukater, tombent amoureux.

Titanic est certainement le seul film de toute l’oeuvre de James Cameron où il a privilégié les acteurs, les visages et l’âme humaine à la machinerie et aux effets spéciaux dont il est friand.

Il faut se reporter aux journaux et revues de l’époque précédant sa sortie mais Titanic n’a pas toujours été le classique intemporel et incontournable qu’il paraît aujourd’hui. Bien au contraire, sa sortie de multiples fois reportée a fait naître une rumeur de catastrophe, de gouffre financier impossible à couvrir. James Cameron, pour la première fois, s’aventurait en-dehors du film de genre (fantastique, science-fiction, action) qui a fait sa gloire. On craignait à l’époque un film académique ne faisant pas suffisamment vibrer pour ses personnages, tout engoncés dans une patine historique dont ils ne parviendraient pas à se défaire. Cameron qui n’avait alors connu que de succès (hormis le score moyen d’Abyss, l’un de ses films les plus personnels). a senti sur son cou le souffle de la guillotine du box-office. Vu le coût immense du film, un échec l’aurait vraisemblablement renvoyé à ses chères études d’océanographie. C’était du quitte ou double.

Ce fut double. En dépit de la scie musicale en générique de fin (la fameuse chanson de Céline Dion, que l’on peut toujours zapper en arrêtant la vidéo ou en quittant la salle), Titanic est devenu un véritable classique du drame romantique. L’un des plus grands chocs cinématographiques de James Cameron fut Le Docteur Jivago de David Lean. Titanic fut sans doute la seule occasion que James Cameron a eue d’égaler David Lean, l’un de ses cinéastes préférés, sur son propre terrain, celui de la fresque historique et romanesque. Quand on (re)voit le film aujourd’hui, ce qui frappe, c’est la fraîcheur des relations entre Rose et Jack qui permet au film de vibrer d’une incroyable intensité, balayant tous les risques et soupçons d’académisme. Ce qui étonne aussi, c’est la qualité d’écriture de James Cameron qui donne à chaque personnage la possibilité d’exister et de défendre ses chances, même si Billy Zane, en fiancé détestable de Rose, a droit à un registre plus limité de parfait antagoniste.

Les scènes psychologiques sonnent toujours incroyablement justes avec l’utilisation de la voix off qui sera aussi un point fort d’Avatar et d’Avatar : la voie de l’eau, nous faisant ressentir de l’intérieur le dilemme de Rose (formidable Kate Winslet), rebelle à sa classe sociale et désireuse d’ailleurs. Titanic, le film, contrairement au navire, est toujours admirablement construit, Cameron prenant son temps pendant les vingt premières minutes pour installer son action dans le présent, puis ensuite nouer son histoire d’amour pendant l’heure vingt qui suit, pour conclure en apothéose avec le naufrage seconde par seconde, comme si on le vivait en direct, le HFR renforçant l’hyperréalisme des séquences d’action. En outre, il bénéficie d’une interprétation hors classe, sans jeu de mots, avec des acteurs qui n’étaient à l’époque que de brillants espoirs (Kate Winslet et Leonardo DiCaprio), devenus depuis d’immenses stars et références du métier de comédien. Avec le recul, on peut même noter que leur couple a sans doute redéfini les relations hommes-femmes pour le siècle à venir (cf. l’image obsédante de Rose libérant Jack à coups de hache). Grâce à eux, leur vitalité, leur innocence de l’époque, et au tempo effréné que Cameron a su imprimer à leur drame romantique, Titanic est devenu le dernier grand classique hollywoodien du XXème siècle, un film qui a su clore une certaine forme de cinéma, de manière somptueuse. Depuis Cameron est passé à autre chose. Certains de ses fans peuvent peut-être regretter qu’il n’ait pas poursuivi dans cette voie du cinéma classique, où il s’est montré, contre toute attente, si doué, car Titanic est certainement le seul film de toute son oeuvre où il a privilégié les acteurs, les visages et l’âme humaine à la machinerie et aux effets spéciaux dont il est friand. Dans Titanic, on perçoit encore les performances d’acteurs, dans le cadre d’un cinéma à visage humain ; Cameron est ensuite passé à la « performance capture ». La fin d’un monde, la fin d’un certain cinéma.

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RÉALISATEUR : James Cameron  
NATIONALITÉ : américaine, canadienne
GENRE :  Drame, historique, romance
AVEC : Kate Winslet, Leonardo DiCaprio, Billy Zane, Kathy Bates, Frances Fisher, Gloria Stuart
DURÉE :  3h14 
DISTRIBUTEUR : The Walt Disney Company France
SORTIE LE 8 février 2023 (ressortie en HFR)