Si seulement je pouvais hiberner : marche ou crève

Coup sur coup, le cinéma mongol nous a offert deux films ayant pour sujet la situation et l’avenir de la jeunesse – et plus particulièrement de l’adolescence – au sein de sa société. Récemment, Un Jeune Chaman de Lkhagvadulam Purev-Ochir sortait sur nos écrans qui nous racontait l’histoire d’un jeune homme tiraillé entre la tradition et la société moderne à travers l’amour qu’il portait à une jeune fille. Au mois de janvier, était diffusé au cinéma Si seulement je pouvais hiberner deZoljargal Purevdash qui sort aujourd’hui en DVD. Les deux films ont pour particularité d’adopter un point de vue réaliste à travers le regard de leur jeune héros. A noter que ce dernier a été nommé dans la catégorie Un Certain Regard et dans celle de la Caméra d’Or au festival de Cannes 2023. Dans le film qui nous occupe, Ulzii est un élève sérieux au lycée, particulièrement doué en sciences physiques qui vit pauvrement dans le quartier des yourtes avec sa mère et ses frères et sœurs au sein d’une ville qui s’apparente à Oulan Bator.

Il est si doué que son professeur lui propose de participer au concours national de physique qui a lieu chaque année et qui donne accès à une bourse d’études permettant d’intégrer une université étrangère prestigieuse. D’abord hésitant, notre jeune personnage finit par accepter et s’en faire même comme un défi. Mais évidemment, cela suppose des heures d’études supplémentaires délivrées par l’enseignant et une application de tous les instants. Dans sa situation, cela constitue un objectif particulièrement attrayant qui lui permettrait à long terme d’échapper à la misère. Laquelle nous est montrée à travers les scènes se déroulant à l’intérieur de la yourte : la vie s’organise autour du poêle à bois, une ampoule unique éclaire l’espace circulaire, les enfants se serrent les uns contre les autres dans leur lit pour avoir plus chaud et la nourriture manque, la vie en somme y est spartiate. Cet intérieur significatif de la périphérie « banlieusarde » où s’entassent les plus pauvres – 60% des habitants –  contraste avec la ville et ses bâtiments en hauteur – dont des tours pour les nouveaux riches – enfouie au fond de la vallée dont les fenêtres s’illuminent la nuit comme autant d’étoiles inaccessibles. Configuration qui est la résultante d’un exode rural massif des nomades des steppes – en 2011 il a déjà poussé vers Oulan Bator plus de 500 000 personnes sur près de 3 millions de mongols.

Cet intérieur significatif de la périphérie « banlieusarde » où s’entassent les plus pauvres – 60% des habitants –  contraste avec la ville et ses bâtiments en hauteur

Ce qui ne fait qu’accroître la misère du foyer, c’est que la mère se retrouve sans emploi – situation d’autant plus difficile qu’elle est illettrée – malgré l’aide que son fils lui apporte pour en dénicher un au moyen d’Internet. Mais cette dernière ne semble pas particulièrement motivée et c’est à un portrait de femme perdue et lassée de la vie qu’elle mène que nous avons affaire ici. Son alcoolisme est-il la conséquence ou la source de sa situation misérable? Le film refuse de trancher, proposant de nous offrir la réalité nue sans chercher à excuser son personnage. Portrait à charge cependant lorsque cette dernière décide d’abandonner son fils avec sa sœur et son petit frère – c’est le nœud de l’intrigue – pour aller se réfugier à la campagne où elle espère retrouver du travail dans les champs. Cependant, l’on comprend à travers les échanges téléphoniques qu’elle a avec son enfant que les choses ne se passent pas aussi bien qu’elle l’espérait.

Dès lors, le contraste est encore plus saisissant entre sa mère et Ulzii sur les épaules de qui pèsent dorénavant toutes les responsabilités. Attentif au développement physique et moral des enfants, il se montre déterminé à leur apporter son soutien en matière d’éducation, surveillant qu’ils fassent effectivement bien leurs devoirs, et les nourrissant comme il le peut. Obligé de subvenir par lui-même aux besoins de sa sœur et de son petit frère, l’adolescent est poussé à vendre les meubles de l’habitation, à chaparder du bois pour le poêle aux abords de la yourte jusqu’à ce qu’en désespoir de cause il accepte de travailler illégalement à couper du bois pour un groupe d’hommes qui travaillent dans la forêt. Mais tout cela se fait évidemment au détriment de ses études car épuisé par son travail, le jeune homme s’endort en cours et néglige sa préparation au concours malgré le soutien de son professeur. Ce qui caractérise le personnage – outre sa détermination – est encore qu’il refuse de faire appel à toute aide extérieure, fier de pouvoir se débrouiller tout seul et refusant ce qu’il appelle la « charité » des autres. Dans une époque où dans notre pays, de la droite jusqu’à la gauche (pour ne pas citer le Parti Communiste français), les allocataires se voient reprocher qui d’être fainéants, fraudeurs ou ignorants, il est bon de rappeler que ce n’est jamais de gaieté de cœur qu’on se voit contraint de faire appel au secours qu’est susceptible d’apporter la société. Et rappelons-nous que c’est un devoir de l’Etat républicain que de soutenir les plus faibles. Dès lors, seul un choc, salutaire dans ses conséquences, peut délivrer le jeune homme de la situation inextricable dans laquelle il se retrouve malgré lui. Remarquable de réalisme, ce film venu d’ailleurs nous montre – à travers les yeux d’un adolescent auquel on s’identifie aisément – les difficultés pour la jeunesse mongole défavorisée – comme elle l’est en grande partie – de surmonter les difficultés qui s’opposent à son élévation sociale et à son avenir en général.

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RÉALISATEUR : Zoljargal Purevdash
NATIONALITÉ :  Mongolie, France, Suisse, Qatar
GENRE : Drame
AVEC : Battsooj Uurtsaikh, Nominjiguur Tsend, Tuguldur Batsaikhan
DURÉE : 1h38
DISTRIBUTEUR : Eurozoom
SORTIE LE 10 janvier 2024