Second tour : politique, mode d’emploi

Avec Adieu les cons, Albert Dupontel a atteint son but, si toutefois il le poursuivait : obtenir la reconnaissance de la profession cinématographique. Depuis 9 mois ferme jusqu’à Adieu les cons, il a ainsi régulièrement dépassé les deux millions d’entrées en France, tout en glanant les récompenses aux César. Soutenu par la prestigieuse Gaumont, Albert Dupontel a déjà tout gagné : des César via ses acteurs (Sandrine Kiberlain, meilleure actrice pour 9 mois ferme), son scénario (ses trois derniers films), des récompenses essentiellement techniques (pour Au revoir là-haut) et même le Saint Graal, le César du meilleur film pour Adieu les cons. Il a surtout imposé un style déjanté, grinçant et expressionniste, assez unique dans le cinéma français. Décrié par les intellos, célébré par le grand public, Albert Dupontel se trouve un peu à la croisée des chemins pour son huitième film. Que peut-il donc faire, ayant déjà tout remporté, sinon se lancer de nouveaux défis? S’essayer par exemple à la satire politique, ce qu’il fait dans Second tour.

Journaliste politique en disgrâce placée à la rubrique football, Mlle Pove est sollicitée pour suivre l’entre-deux tours de la campagne présidentielle. Le favori est Pierre-Henry Mercier, héritier d’une puissante famille française et novice en politique. Troublée par ce candidat qu’elle a connu moins lisse, Mlle Pove se lance dans une enquête aussi étonnante que jubilatoire.

A l’origine, Albert Dupontel était plutôt un comique et un cinéaste assez trash et décapant. Sans rien perdre de sa verve grinçante, il a pris place au fur et à mesure des années dans l’establishment du cinéma français, même s’il a pris soin de ne pas venir à la cérémonie des « professionnels de la profession ». Avec Second tour, un film sans véritable enjeu par rapport à d’éventuelles récompenses, Dupontel se fait à nouveau plaisir en renouant avec une veine un peu trash de son cinéma.

Une comédie toujours irrésistible mais sur un fond presque tragique de non-réconciliation avec ses origines, où l’écologie et les thèmes environnementaux prennent le pas sur toutes les autres dimensions politiques, en particulier le capitalisme financier.

La satire politique est un exercice assez rebattu dans le cinéma français. Beaucoup de cinéastes s’y sont essayé avec plus ou moins de réussite, Jean-Pierre Mocky ou Gustave Kervern et Benoît Délépine (le récent En même temps). Dupontel s’y attelle avec un certain bonheur en ressuscitant un modèle un peu romanesque dans le style de l’ouvrage Le Prince et le pauvre de Mark Twain. Il ne faut jamais oublier que Dupontel est avant tout, bien avant de récolter les suffrages de l’intelligentsia, un cinéaste populaire. Aujourd’hui il est peut-être le seul d’ailleurs avec Jacques Audiard à jouer sur les deux tableaux du film d’auteur et du cinéma grand public, un Jean-Pierre Jeunet semblant avoir lâché l’affaire. Certes il n’invente rien dans son dézinguage de la classe politique, sa critique de la langue de bois et des discours vains, mais il le fait avec une certaine efficacité comique, cf. une parodie incroyable du fameux débat d’entre-deux tours, Cécile de France succédant ainsi à Sandrine Kiberlain et Virginie Efira dans le rôle principal féminin, secondée par l’excellent Nicolas Marié, toujours aussi volubile et tordant dans ses élucubrations.

Dupontel ne renonce pas ici à une certaine virtuosité stylistique, surtout visible dans les flash-backs à dominante sépia, ne lésinant pas sur les mouvements de caméra et les zooms, inspirés par les dessins animés de Tex Avery et les films de Terry Gilliam. Il cultive également une veine sentimentale et humaniste qui se révèle être le véritable coeur de son cinéma, et qui est sans doute la principale raison de son immense succès auprès du grand public, au risque de paraître naïf pour les intellos. Dupontel est ainsi à la fois grinçant, ironique et presque cynique et sans illusions sur le monde (politique ou non) mais aussi tendre et compatissant à l’égard des gens modestes qui font surtout ce qu’ils peuvent et essaient de survivre dans un monde souvent hostile. Une référence sans nul doute à Chaplin (Le Dictateur, Le Kid) et à son humanisme à fleur de peau que partage sans réserves Dupontel.

Second tour est donc à la manière des autres films de Dupontel une fable des origines tourmentées, sur les familles déchirées et non reconstituées, et sur la maternité troublée (Médée y est même mentionnée). Une comédie toujours irrésistible mais sur un fond presque tragique de non-réconciliation avec ses origines, où l’écologie et les thèmes environnementaux prennent le pas sur toutes les autres dimensions politiques, en particulier le capitalisme financier.

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RÉALISATEUR : Albert Dupontel 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : comédie dramatique
AVEC : Cécile de France, Albert Dupontel, Nicolas Marié
DURÉE : 1h37 
DISTRIBUTEUR : Pathé
SORTIE LE 25 octobre 2023