Portraits fantômes : Recife, je t’aime !

La découverte d’un cinéaste et l’envie de le suivre au fil de ses projets constituent très souvent l’une des joies de spectateur et encore plus de critique. En 2014, Kleber Mendonça Filho réalisait son (formidable) premier long métrage, Les Bruits de Recife, remarqué à juste titre pour sa façon de filmer la ville, l’espace. Une thématique reprise dans Aquarius (2016) et dans Bacurau (2019).Que le cinéaste choisisse de réaliser un documentaire personnel sur sa ville de Recife n’est, somme toute, qu’une suite logique dans une filmographie d’une cohérence remarquable.

Portraits fantômes est un voyage multidimensionnel dans la ville de Recife, capitale brésilienne de Pernambuco, à travers le temps, le cinéma, le son, l’architecture et l’urbanisme

Présenté en Séance Spéciale au dernier Festival de Cannes, Portraits fantômes est un voyage multidimensionnel dans la ville de Recife, capitale brésilienne de Pernambuco, à travers le temps, le cinéma, le son, l’architecture et l’urbanisme. Cette visite impressionniste est à la fois une cartographie de la ville et un hommage à la salle de cinéma tout au long du XXème siècle. Dans cette déambulation ludique, les individus se confondent avec les personnages, les lieux avec les décors, les paroles avec les dialogues.  

Photographies historiques, archives personnelles, extraits de films amateurs tournés dans sa jeunesse (et plus tard) ou de ses précédents longs métrages s’enchaînent avec une grande fluidité, formant un kaléidoscope passionnant et vivant.

Le documentaire est ainsi divisé en trois parties, liés à des lieux qui ont compté dans la vie du cinéaste, ou qui lui parlent : l’appartement de sa mère, dans lequel il a grandi, les anciens cinémas de la ville, et des lieux de culte (évangélistes) qui ont pris la place du spectacle cinématographique. Pour composer son film, Kleber Mendonça Filho utilise des images provenant de sources diverses et variées : photographies historiques, archives personnelles, extraits de films amateurs tournés dans sa jeunesse (et plus tard) ou de ses précédents longs métrages s’enchaînent avec une grande fluidité, formant un kaléidoscope passionnant et vivant. Dans la première partie, il fait correspondre (et se répondre) la petite histoire (la sienne) à la grande (celle de Recife et plus globalement celle de la société brésilienne des années 80). Il rend hommage à sa mère (et le rapport qu’elle entretenait avec son appartement), scrute le moindre détail dans les images qu’il met en avant et tisse des liens avec Les bruits de Recife, cité à de nombreuses reprises (y compris dans la façon de tourner des scènes en nocturne, sans rajout d’éclairage), ou encore Aquarius (on comprend à ce sujet l’origine de l’invasion des termites, qui était au cœur du long métrage). Ce rapport personnel à sa ville occupe une place importante dès le début du documentaire : par le biais de deux photographies prises à des époques différentes (l’une dans les années 60, l’autre de nos jours), Mendonça Filho montre l’évolution du quartier de sa jeunesse, les mutations d’un espace qui a été reconstruit, réaménagé complètement : le résultat d’une spéculation financière qui poursuit son chemin. C’est également le cas dans la deuxième partie, tout aussi nostalgique, consacrée aux salles de cinéma qu’il a fréquentées et qui ont maintenant disparu. L’autoportrait, qui se poursuit, se double d’une belle réflexion mélancolique sur le temps qui passe. Il exhume du passé ces lieux-fantômes que constituaient les salles de cinéma, toutes chargées d’une histoire, d’une âme. Comme cette évocation bouleversante de l’un des derniers projectionnistes de cinéma qu’il avait jadis rencontré et filmé, comme pour en conserver une trace. Le rapport, la croyance de cet homme dans la magie du 7e Art, tout comme dans la beauté de la projection en salles, donne les plus beaux moments de ces Portraits fantômes. Ces salles qui au demeurant sont devenues pour certaines des endroits de restauration rapide ou des lieux de cultes (évangélistes), objets de la dernière partie du film. Si, en filigrane, Kleber Mendonça Filho retrace une partie de l’histoire du Brésil, abordant par exemple la dictature (qui ne prit fin qu’en 1985), c’est dans sa dimension intime et tendre que le documentaire passionne, touche au cœur.

De fantômes, il est bien entendu question ici et à plusieurs niveaux, comme l’indique le titre : ceux de ces lieux fréquentés jadis et aujourd’hui disparus, ceux de personnes tant aimées et regrettées (sa mère, le projectionniste), ceux d’acteurs qui se sont rendus à Recife (Tony Curtis et Janet Leigh) ou encore celui capté (accidentellement) sur une photographie prise chez lui, révélant une forme étrange.

Portrait intime d’une ville et des lieux qui la composent, ode au cinéma et aux salles obscures, Portraits fantômes se termine même par une scène géniale

Portrait intime d’une ville et des lieux qui la composent, ode au cinéma et aux salles obscures, Portraits fantômes se termine même par une scène géniale : un chauffeur de taxi qui révèle au cinéaste qu’il possède un pouvoir, celui de disparaitre, devient invisible. Un effet spécial devenu un classique au cinéma (L’Homme invisible), évoquant ces fameux fantômes du titre.

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RÉALISATEUR : Kleber Mendonça Filho
NATIONALITÉ : Brésil
GENRE : Documentaire intime
AVEC : Kleber Mendonça Filho
DURÉE : 1h33
DISTRIBUTEUR : Urban Distribution International / Vitrine Filmes
SORTIE LE 1er novembre 2023