Pornomelancolia : la solitude dans le sexe

 Entre fiction et documentaire, Pornomelancolia pose un regard juste et mélancolique sur le milieu du porno gay, à travers le portrait de l’acteur mexicain Lalo Santos. Ce quatrième long métrage du jeune cinéaste argentin, Manuel Abramovich, est une réussite à n’en pas douter.

Lalo est ouvrier. Quand il ne travaille pas à l’usine, il est un sex-influenceur mexicain qui se met en scène nu pour ses milliers de followers. À la suite d’un casting, il devient acteur porno en jouant Emiliano Zapata dans un film sur la révolution. Mais dans la réalité, Lalo semble vivre dans une mélancolie constante.

Une fois n’est pas coutume, voici un titre qui correspond en tous points au contenu du film : porno et mélancolie.

Une fois n’est pas coutume, voici un titre qui correspond en tous points au contenu du film : porno et mélancolie. Sans être bien entendu un film simplement pornographique, Pornomelancolia contient néanmoins de nombreuses scènes de sexe, qu’elles soient suggérées ou mises en scène de manière plus frontale (justifiant ainsi l’interdiction aux moins de 16 ans). Mais, dans son approche brute, Manuel Abramovich ne verse jamais dans la complaisance dans la mesure où il ne représente pas le sexe pour le sexe. On suit le quotidien de Lalo qui a décidé de faire de son corps son outil de travail par le biais de photos et de vidéos le révélant complètement nu dans des positions explicites, sur différents supports sexuels. La caméra scrute ce personnage bien réel, qui lui-même se met en scène et épouse également son point de vue. Il est devenu un pur objet de désir et esclave des réseaux sociaux, à la recherche du moindre like qui viendrait alimenter sa côte de popularité et lui faire bien gagner sa vie.

En ce sens, le film est bien plus profond et subtil qu’il n’y paraît et ne saurait se résumer à un simple portrait d’un « travailleur du sexe ».

Malgré un succès évident, dont la participation à un film X gay serait en quelque sorte la concrétisation ultime, Lalo semble triste, constamment imprégné d’une mélancolie profonde, celle-là même qui est évoquée dans le titre du long métrage. La séquence d’ouverture est à ce titre très belle (et intrigante à la fois) : Lalo est dans la rue, immobile au milieu de la foule et de la circulation, observé depuis une vitrine (avec des reflets) avant qu’il ne finisse par s’effondrer, en larmes. Cette tristesse insondable ne quittera plus l’acteur, dont le visage est très souvent cadré en gros plan. Ces moments sont bouleversants. Ils révèlent aussi la solitude d’un homme au quotidien. Malgré le nombre de fans croissants suivant son profil, il est seul tout comme lorsqu’il appelle sa mère au téléphone et qu’il ne communique qu’avec son répondeur. En ce sens, le film est bien plus profond et subtil qu’il n’y paraît et ne saurait se résumer à un simple portrait d’un « travailleur du sexe ». Au-delà d’une réflexion bienvenue sur la dépendance vis-à-vis du numérique (et toutes les conséquences qui en découlent) et sur la sexualité réduite à un spectacle déshumanisé (où les corps apparaissent comme des machines en action), le film pose la question de la quête de soi ainsi que de l’image que chaque individu renvoie aux autres et à lui-même. Pour autant, Pornomelancolia ne se limite pas seulement à son discours. Il est aussi remarquablement mis en scène, avec une vraie sensualité notamment dans les scènes entre les moments de tournage sur le plateau : variété des plans, travail sur les cadrages ou encore caméra toujours à la bonne distance du sujet filmé. Émouvant, le film l’est indiscutablement. L’une des scènes les plus belles intervient lors d’une simple discussion entre acteurs (dont Lalo) : chacun évoque à tour de rôle ses ressentis, son rapport à la sexualité et à la masculinité ainsi que le regard des autres face à la maladie, le Sida. Ces derniers vivent avec, grâce à un traitement qui a réduit fortement la charge virale.

En somme, une vraie proposition de cinéma qui mérite largement d’être découverte en salle.

Conçu comme « une fiction à laquelle on aurait intégré des souvenirs et des expériences de Lalo », Pornomelancolia n’est pas tout à fait la réalité, mais bien un entre-deux, une sorte de miroir un peu déformant mais néanmoins passionnant et stimulant. En somme, une vraie proposition de cinéma qui mérite largement d’être découverte en salle.

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RÉALISATEUR : Manuel Abramovich
NATIONALITÉ : Argentine, France, Brésil, Mexique
GENRE : Drame
AVEC : Lalo Santos, Diablo, Brandon Ley
DURÉE : 1h34
DISTRIBUTEUR : Épicentre Films
SORTIE LE 21 juin 2023